Depuis quelques années, en France et dans le monde anglophone, les savoirs des artisans mobilisent l’intérêt des chercheurs et des chercheuses. Récemment, la notion d’Artisanal Enlightenment a contribué à inspirer certaines études : la rencontre des cultures artisanales avec l’élite savante et éclairée aurait suscité des hybrides culturels et favorisé des transferts de savoirs. Cet article entend mettre à distance cette approche, en resserrant la focale sur les artisans au travail, en proposant une analyse au ras des pratiques, à partir de corpus inédits restituant les techniques mises en œuvre dans les ateliers. Il convient de prendre la mesure du retournement de perspective. Pendant longtemps en effet, les historiens et historiennes ont repris à leur compte des lieux communs sur les artisans, forgés par les contemporains, tels que l’enserrement dans des corps de métiers figés et rivaux entre eux. Un puissant mouvement de relecture a mis en cause ces stéréotypes. D’une part, l’histoire des sciences a souligné le rôle des praticiens dans l’émergence des sciences expérimentales. D’autre part, le mouvement de relecture de la révolution industrielle a réfuté un récit centré sur les ingénieurs, les industriels et les savants et montré les capacités inventives des artisans. Il apparaît de plus en plus que les savoirs artisanaux ont évolué indépendamment des mondes savants, ce qui incite à reconsidérer les relations entre savants et artisans et notamment l’intérêt des élites pour les techniques. Plusieurs thèmes sont ainsi mis en avant par les recherches récentes et développés dans cet article : la captation des savoirs artisanaux par les mondes savants, les relations de pouvoir qui sous-tendent la codification des pratiques artisanales, enfin les ressources de l’atelier, en plaçant au cœur de la réflexion les ressorts cognitifs du faire, du rapport à la matière, au geste et à l’outillage.