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Les sources du droit, source de la légende ?

Published online by Cambridge University Press:  30 December 2024

Luisa Brunori
Affiliation:
CNRS/École normale supérieure – PSL ; CTAD UMR 7074 luisa.brunori@ens.psl.eu
Jean-Louis Halpérin
Affiliation:
École normale supérieure – PSL ; CTAD UMR 7074 jean-louis.halperin@ens.fr
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Abstract

La démonstration de Francesca Trivellato, dans Juifs et capitalisme, part du premier chapitre des Us et coustumes de la mer d’Étienne Cleirac (1647) consacré à l’assurance et à la lettre de change. Les difficultés à intégrer ces deux instruments du droit commercial au sein du système des sources de tradition romaniste conduisent Cleirac à en attribuer l’invention aux Juifs. Cette opération essentiellement technique d’ajustement de la systématique des sources du droit entre néanmoins en consonance avec une mentalité répandue parmi la société des époques moderne puis contemporaine. En montrant le rôle des juristes dans l’élaboration d’une légende antisémite, le livre de F. Trivellato suscite une réflexion sur les apports réciproques développés ces dernières années entre l’histoire des idées et l’histoire du droit.

Francesca Trivellato’s analysis begins with the first chapter of Étienne Cleirac’s Us et coustumes de la mer (1647), focusing on insurance and bills of exchange. The difficulties of integrating these two instruments of commercial law into the framework set out in Romanist legal sources led Cleirac to attribute their invention to Jews. This essentially technical endeavor to adjust the system of legal sources was nevertheless in line with the prevailing mindset of the early modern period, and that of the centuries that followed. By revealing the role of jurists in crafting an antisemitic narrative, The Promise and Peril of Credit prompts a reflection on the reciprocal contributions in recent years between intellectual history and legal history.

Type
Forum autour du livre de Francesca Trivellato, Juifs et capitalisme
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Du point de vue des juristes, notamment des spécialistes du droit commercial, Juifs et capitalisme est une œuvre importante qui soulève des questions de méthode et de contenu au sujet desquelles l’histoire du droit s’interroge depuis quelque temps dans une tentative de renouvellement, indispensable, de la discipline. Dans cette optique, le livre de Francesca Trivellato apporte une contribution majeure, particulièrement riche d’idées et de perspectives.

En ce qui regarde la méthode, Juifs et capitalisme est un puissant appel à cette interdisciplinarité si souvent invoquée et trop souvent négligée par les historiens et historiennes du droit. F. Trivellato l’impose à son lectorat dès les premières pages du livre. En effet, sa démonstration concernant l’origine et la diffusion de la « légende » selon laquelle les Juifs seraient à l’origine de l’invention de la lettre de change et, par conséquent, acteurs pendant de nombreux siècles d’une activité économico-financière opaque et douteuse, se fonde sur la lecture de textes juridiques et en particulier de textes juridiques dédiés aux techniques propres au droit commercial, tels que les Us et coustumes de la mer d’Étienne Cleirac (1647). L’historien ou l’historienne du droit commercial peut donc difficilement échapper aux questions soulevées par Juifs et capitalisme : comment se fait-il qu’un commentaire (ni particulièrement novateur ni subtil) de certaines normes et certains usages du droit coutumier maritime ait été le vecteur d’un discours métajuridique trouvant un terrain fertile au-delà du cercle restreint des jurisconsultes de la première modernité ? Il est bien sûr évident pour F. Trivellato que le commentaire de Cleirac n’est pas le seul vecteur de la légende, mais il constitue un exemple emblématique de la manière dont la technique juridique peut engendrer des discours et des représentations qui s’étendent bien au-delà des pratiques et des normativités du droit commercial. La façon dont Juifs et capitalisme puise à la technique juridique impose à l’historien et l’historienne du droit une relecture plus attentive de l’œuvre de Cleirac, bien connue des spécialistes pour sa richesse en informations détaillées sur le droit commercial maritime utilisé dans la pratique des ports atlantiques de la première modernité.

Le passage dont la démonstration de F. Trivellato découle se trouve précisément au début du premier chapitre des Us et coustumes de la mer de Cleirac, consacré aux contrats d’assurance, à leur définition et à leur encadrement systématique au sein de l’ensemble des institutions juridiques du droit commercial maritime. L’intention première de Cleirac est donc définitoire et systématique. L’ensemble de son ouvrage est par ailleurs marqué par une intention ouvertement didactique : Cleirac souhaite avant tout situer correctement le contrat d’assurance au sein de la systématique juridique à laquelle il était formé (ainsi que ses contemporains) et qui avait pour principal fondement les institutions du droit romain. Il écrit précisément à une époque où le droit commercial cherche à être reconnu comme une branche autonome et indépendante du droit civil et canoniqueFootnote 1. L’auteur s’évertue donc à souligner la rigueur et la tenue de son corpus normatif. Le problème rencontré par Cleirac est qu’il n’y a aucune trace d’assurance et – comme il le précise lui-même d’emblée – de lettre de change dans la systématique de tradition romaniste. À son époque, ces deux pratiques étaient pourtant bien connues tant des praticiens que des théoriciens du droit ; elles ne pouvaient en rien être considérées comme dépourvues d’histoire et de place au sein du corpus juridique du droit commercial.

La difficulté de Cleirac à les intégrer dans le système semble avoir pour conséquence l’attribution d’origines obscures, afin d’indiquer clairement aux lecteurs que leur développement s’est fait en dehors de la solide conceptualisation de tradition romaniste. Or si les Romains n’en furent pas les inventeurs, qui put donc concevoir ces deux instruments juridiques, de surcroît particulièrement opaques dans leurs contours et leur utilisation ? Cleirac ne trouve rien de mieux que de les attribuer aux Juifs, dont la représentation en tant que marchands habiles et retors précède largement le xviie siècle. Les difficultés rencontrées par l’auteur dans la systématisation de ces deux institutions juridiques semblent ainsi prédominer sur la volonté délibérée de celui-ci d’adhérer à des représentations légendaires. À cet égard, il peut être intéressant de lire le discours de Cleirac sur la malveillance des Juifs en le reliant aux difficultés identiques rencontrées par les Parlements d’Ancien Régime pour encadrer la lettre de change. F. Trivellato en rend compte, soulignant que Cleirac et les cours souveraines partagent le même embarras définitoire. L’historiographie juridique récente a également démontré cette indécision définitoire, en s’appuyant précisément sur l’expérience juridique bordelaise de la lettre de change à l’époque moderneFootnote 2. Il en ressort que ce que Cleirac cherche avant tout à prouver, c’est que les difficultés dans la doctrine et la jurisprudence découlent d’une opacité cherchée à dessein par des acteurs habiles et perfides (il n’est pas étonnant que, dans des versions alternatives de la légende, les protagonistes sont les Florentins gibelins exilés de Florence), et non tant d’une lenteur du droit à suivre la pratique commerciale.

Une autre question se pose alors : la lettre de change était-elle aussi opaque que cela dans la pratique ? L’un des très nombreux mérites de Juifs et capitalisme est la restitution d’une réalité commerciale où la lettre de change constitue un instrument de travail quotidien, en particulier dans le contexte du commerce bordelais du xviie siècle qui était celui de Cleirac : un instrument auquel les marchands sont parfaitement habitués et qui est utilisé en raison de sa polyvalenceFootnote 3. Le raffinement progressif des techniques d’utilisation de la lettre de change – l’endossement translatif et l’escompte, par exemple – est révélateur de la commodité et de la souplesse de cet instrumentFootnote 4. Très tôt, en effet, il fait l’objet d’une maîtrise et d’une sophistication généralisée de la part des acteurs du commerce (l’endossement sur titre est déjà présent dans les archives Datini au début du xve siècle), bien loin de l’opacité dénoncéeFootnote 5.

Sur cette question, F. Trivellato met en lumière un aspect plutôt surprenant : l’accusation d’opacité insidieuse, l’un des éléments constitutifs de la légende, semble être une caractéristique de la doctrine juridique laïque française, absente des doctrines italienne et espagnole de la première modernité. Quasiment un siècle avant le texte de Cleirac, Benvenuto Stracca publiait un traité sur les assurances extrêmement technique et en même temps parfaitement en phase avec la réalité de son temps où pas un seul mot n’était consacré à la légendeFootnote 6. Il en va de même du traité sur le commerce et les opérations de change de Sigismondo Scaccia, publié à Rome en 1619Footnote 7. La doctrine savante espagnole de l’époque montre une approche technique et pragmatique identique, alors que les difficultés de systématisation par rapport au corpus de droit romano-canonique étaient peut-être encore plus prononcées que celles auxquelles Cleirac se voyait confronté. Pour autant, les docteurs de la Seconde Scolastique, notamment Francisco de Vitoria, Domingo de Soto, Martín de Azpilcueta et Luis de Molina, ne se découragent pas et proposent une analyse du contrat d’assurance et des opérations de change nourrie, bien sûr, d’éléments théologiques et moraux, mais qui reste extrêmement technique et ne laisse pas de place à la légendeFootnote 8.

Cleirac connaissait cette littérature ainsi que la jurisprudence des plus hautes cours commerciales italiennes dont il tirait des définitions rigoureuses et entièrement dépourvues de prises de position susceptibles d’alimenter la légende. Pourquoi alors, en France, sur la base de ce même patrimoine intellectuel, la légende prend-elle forme dans les écrits des juristes, pour se développer ensuite dans la doctrine du xviiie siècle ? Qu’a de « française » cette légende dans laquelle les Juifs semblent souvent partager la même représentation que celle des Italiens expatriés ? Pourquoi les cultures juridiques commerciales italienne et espagnole sont-elles restées substantiellement imperméables à la légende, tandis que la française en a été le vecteur ? La doctrine juridique française en était-elle consciente ou est-elle simplement restée empêtrée dans des difficultés systématiques intradisciplinaires ?

F. Trivellato fournit de nombreux indices pour répondre à ces questions, bien que certaines demeurent irrésolues : pourquoi le chroniqueur florentin Giovanni Villani fut-il invoqué pour étayer la légende d’une origine juive de la lettre de changeFootnote 9 ? Pourquoi des érudits parmi les plus importants, pendant une période étonnamment longue et sur une étendue géographique étrangement vaste, font-ils référence à son discours contre les Juifs ? Et comment peut s’expliquer son succès parmi les juristes, qui, au fond, devaient bien peu à Villani ?

Les accusations d’opacité et d’ambiguïté délibérées portées contre la lettre de change, qui ouvrirait la porte à des opérations douteuses, ainsi que la faible fiabilité supposée des personnes qui s’en servent conduisent inévitablement à s’interroger sur les pathologies et les fragilités de cet instrument juridique. Sur cet aspect, une étude approfondie de la réalité historique des protêts pourrait probablement éclaircir l’histoire des représentations. Le protêt intervient quand le payeur ne veut ou ne peut pas payer, selon qu’il ne se considère pas obligé de le faire ou qu’il ne dispose pas des liquidités nécessairesFootnote 10. Dans tous les cas, le mécanisme de la lettre de change se grippe et surgit le soupçon de mauvaise foi ou de fraude de l’une des parties du rapport cambiaire. Le protêt implique donc à la fois une dimension technique objective et une dimension subjective qui a une forte influence sur la réputation, la renommée, la légende justement, des individus en question. Que nous disent les vicissitudes des protêts et les actions en justice qui en découlent sur la réputation des personnes concernées par des lettres de change protestées ? Le protêt rend public le rapport cambiaire : il transforme l’acte privé qu’est la souscription d’une lettre de change en acte public et publicisé, exposé à l’opinion d’autrui. Dans sa thèse sur la lettre de change à Bordeaux dans la seconde modernité, Victor Le Breton-Blon étudie la correspondance du marchand juif David Lindo à propos de plusieurs lettres de change protestées dans les années 1730. Cette correspondance montre clairement à quel point il était important pour Lindo et ses agents de protéger leur réputation en cas de protêt. Que cette préoccupation soit liée au fait d’être juif, et donc davantage exposé à la méfiance que d’autres, reste incertain – seule une étude plus approfondie pourrait le démontrer ou l’écarter. Mais la question se pose de savoir si les défauts de la lettre de change ont pu être utilisés afin d’amplifier la légende. Il n’en demeure pas moins que la complexification du monde des affaires, l’augmentation et le raffinement des techniques financières conduisent assurément – F. Trivellato le démontre admirablement –, à la fin du xviie siècle, à la transformation de la figure de l’« usurier juif » en « financier juif ». Les problèmes de systématisation se multiplient, les difficultés à distinguer l’usure du commerce, les investissements en capital des spéculations financières s’étendent au droit des contrats qui souffre de confusions conceptuelles que les juristes ne parviennent pas à résoudre et dont les « financiers juifs » sont, selon eux, responsables.

La lettre de change traverse néanmoins indemne la Révolution pour trouver enfin sa place dans la codification commerciale de 1807. C’est ainsi qu’au cours des travaux préparatoires du Code de commerce, Jacques-François Bégouën, orateur du corps législatif, s’exclame :

La lettre de change a été inventée.

Cet événement, qui forme dans l’histoire du commerce une époque presque comparable à celle de la découverte de la boussole et de l’Amérique, a fait disparaître toutes ces entraves. […] le commerce dès lors n’a plus connu d’autres limites que celle du mondeFootnote 11.

La déclaration est poétique et promet un avenir radieux. Or, dès l’année suivante, cet avenir se heurte au « décret infâme »Footnote 12 du 17 mars 1808, qui annule les créances des Juifs et limite et dévalue leurs capacités commerciale et financière.

F. Trivellato aborde ainsi des questions complexes et multiformes, qui mettent plus largement en lumière le renouveau, observé depuis quelques années, du dialogue entre histoire et histoire du droit autour du droit commercial. Ce sont les tentatives de démêler ce type de questions qui ont conduit récemment à une interdisciplinarité éclairée et naturelle, soit une prise en considération rigoureuse et matérielle des phénomènes juridiques de la part de l’histoire économique et sociale, notamment grâce à la mise en place de projets de grande envergure exprimant le besoin de s’abreuver à l’histoire du droit pour comprendre les dynamiques commerciales de longue durée et d’ampleur territorialeFootnote 13. Ces projets ont donné des résultats qui semblent indiquer que l’élargissement de la focale disciplinaire réalisé par l’historiographie semble aller de pair avec l’élargissement de l’échelle géographique d’investigationFootnote 14.

L’histoire du droit commercial s’est trouvée au centre de ce renouveau, y compris dans les travaux des juristes historiens : au cours de la dernière décennie, une mobilisation réelle de la part d’historiennes et d’historiens du droit des affaires, de l’histoire sociale et de l’économie s’est exprimée avec force. Le projet « Histoire de l’économie sans travail. Finances, investissements et spéculation de l’Antiquité à nos jours », lancé en 2015, a permis, à l’initiative des juristes, un dialogue sur plusieurs années entre droit, histoire sociale et histoire économique sur les thèmes les plus débattus en matière de finance, sur la spéculation et sur beaucoup d’autres aspects parmi les plus complexes de l’histoire du droit commercialFootnote 15. Les projets pilotés par Dave De ruysscher (université de Tilburg) sur les dommages collatéraux de l’insolvabilité et sur la souveraineté commerciale des villesFootnote 16 ainsi que le projet de Stefania Gialdroni (université de Padoue) sur la lex mercatoria Footnote 17 confirment cette tendance. Il serait intéressant de creuser les raisons de cette convergence historiographique entre droit, histoire et économie (un inexorable air du temps ? des intuitions individuelles qui ont su fédérer et construire de véritables communautés scientifiques ?), qui contribue certainement à faire du livre de F. Trivellato un texte de référence pour une communauté scientifique désormais résolument interdisciplinaire.

Élargissant davantage la focale disciplinaire, mais adoptant toujours le point de vue propre à l’histoire du droit, l’ouvrage de F. Trivellato peut également être lu comme une contribution majeure à ce que nous appelons l’histoire des idées juridiques. Son point de départ est en effet l’ouvrage d’un juriste, l’avocat bordelais Étienne Cleirac, qui est connu des spécialistes pour avoir réuni en un seul volume, les Us et coustumes de la mer, des textes comme les Rôles d’Oléron (remontant au xiie siècle) et le Guidon pour ceux qui font marchandise, et qui mettent à la mer, avec les assurances d’Anvers et d’Amsterdam (un recueil de règles et de formulaires sous forme d’articles relatifs aux assurances maritimes rédigés au xvie siècle par un anonyme à l’attention des marchands de Rouen). La lecture « historienne du droit » s’est attachée à étudier les règles elles-mêmes, présentées sous forme d’articles et lues comme les témoignages importants d’un encadrement juridique de la pratique des assurances maritimes en France au xviie siècle, précédant de plus de trois décennies le titre VI du livre III de l’ordonnance de la Marine (1681) consacré à ce sujetFootnote 18. La discipline « histoire du droit » n’avait pas prêté attention au commentaire de l’article I (pourtant placé tout au début, en caractères à peine plus petits) qui contient une violente diatribe contre les Juifs, accusés d’avoir inventé les polices d’assurance et les lettres de change pour mettre à l’abri les profits de leurs « méfaits » au moment de leur bannissement du royaume de France. Preuve s’il en est qu’une lecture trop strictement disciplinaire risque de faire oublier le contexte de production historique d’une œuvre juridique. F. Trivellato s’intéresse en l’occurrence à l’histoire du port de Bordeaux au début du xviie siècle, où les marchands juifs doivent se présenter comme des « catholiques pratiquant à tout épreuve »Footnote 19, à rebours de l’image plus familière des Juifs bordelais de la deuxième moitié du xviiie siècle pouvant pratiquer librement leur culte. L’autrice en fait, au contraire, le point de départ d’une extraordinaire enquête sur l’esprit capitaliste reproché aux Juifs bien au-delà du xviie siècle, y compris chez des auteurs connus pour avoir participé à l’émancipation des Juifs en France et en Allemagne.

Son ouvrage invite les historiennes et historiens du droit à questionner leurs pratiques en matière d’histoire des idées juridiques. Il existe aujourd’hui un mouvement qui s’écarte d’une « histoire de la pensée juridique moderne » dont la démarche consiste à identifier chez quelques « grands auteurs » les courants successifs de la philosophie du droitFootnote 20. Apparue récemment dans les cursus de licence et de master en droit, sur le modèle des cours plus anciens d’histoire des idées politiques, l’histoire des idées juridiques a été largement conçue comme une présentation, à des fins didactiques, du développement de la pensée (essentiellement, sinon uniquement, occidentale) sur les fondements du droit de l’Antiquité à nos jours. Elle s’est particulièrement concentrée sur les théories jusnaturalistes (avec l’opposition soutenue par Michel Villey entre le jusnaturalisme « classique » d’Aristote, Cicéron ou saint Thomas et le jusnaturalisme « moderne » depuis Hugo Grotius), puis sur celles des positivistes (Jeremy Bentham, Friedrich Carl von Savigny et l’École historique du droit, Rudolf von Jhering, Hans Kelsen, les réalistes américains et scandinaves, Herbert Hart).

Ce schéma d’enseignement, qui n’a guère donné lieu à la publication de manuels et de débats méthodologiquesFootnote 21, ne reflète pas l’influence qu’ont réellement exercée au cours de ces dernières décennies les travaux des historiennes et historiens sur ceux de leurs homologues en droit en ce qui concerne les « idées juridiques ». S’ajoutant ou se substituant aux oppositions plus anciennes, relevées à propos des médiévistes par Jacques Le Goff en 1986Footnote 22, les effets du tournant herméneutique, du concept de « champ juridique » de Pierre Bourdieu et de la méthode conceptuelle de l’École de Cambridge ont amené nombre d’historiens et d’historiennes du droit à repenser leur approche de l’étude diachronique du développement de la « pensée juridique ». Les œuvres de Paolo Grossi et de Michael Stolleis ont remis en cause, respectivement dans les domaines de l’histoire des concepts du droit privé et de ceux du droit public, les schémas « métaphysiques » (ceux de Paul Koschaker et de Franz WieackerFootnote 23) sur l’avènement de la « modernité juridique » depuis la réception du droit romain en Occident au Moyen ÂgeFootnote 24. Développant de nouvelles connexions entre des textes jusque-là peu cités (qu’ils font émaner d’auteurs connus ou jugés mineurs), les historiens et historiennes du droit se sont davantage attachés à l’étude de la littérature juridique, de ses formes et de sa diffusion, en intégrant la socio-histoire des juristes et les techniques de la bibliométrieFootnote 25.

Nous avons bien conscience que si les idées des juristes sont techniques, voire « ésotériques »Footnote 26, elles se développent au sein d’espaces intellectuels où se mêlent les professionnels du droit et les « profanes » en ce domaine comme les sujets de caractère politique, social, économique et proprement juridiqueFootnote 27. Les « idées juridiques » peuvent être à la fois étudiées comme des prises de position qui s’adressent plutôt à un lectorat juriste au sein du champ juridique et comme des discours participant à des « batailles de livres »Footnote 28 et à des circulations idéologiques avec les champs politiques, philosophique ou religieuxFootnote 29. Les terrains liés à la formation de ce que nous appelons le « droit international » ont été particulièrement propices à ce tournant « historien » de l’histoire des idées juridiques, mettant en valeur les contextes de la colonisation, de l’esclavage, de la globalisation du commerce dans l’analyse des œuvres de Vitoria, de Grotius ou des fondateurs de l’Institut de droit international en 1873. Les travaux de Lauren Benton, comme ceux de Martti Koskenniemi, de David Armitage ou d’Arnulf Becker Lorca, ont montré tout ce qu’il y avait de commun en ce domaine entre les approches des juristes et celles des historiens et historiennesFootnote 30. Qu’il s’agisse de l’étude des idées des théologiens-juristes espagnols et portugais des xvie et xviie sièclesFootnote 31, de la prise en compte de différents engagements dans le jansénismeFootnote 32 ou dans les LumièresFootnote 33, d’un essai de micro-histoire dans les procédures de divorce dans l’Europe napoléonienneFootnote 34 ou de l’emploi de coupes diachroniques par générationsFootnote 35, il nous semble que les historiennes et historiens du droit sont plus attentifs aux développements récents de l’histoire intellectuelle, dont ce livre de F. Trivellato est un nouvel et riche exemple.

Celle-ci décrit admirablement comment un commentaire juridique, prétendument fondé sur l’histoire, a contribué à une légende nourrissant les idéologies antisémites à travers les siècles. Son étude démontre le rôle des ouvrages de droit – tels le célèbre Parfait négociant de Jacques Savary et de son fils, De l’ Esprit des lois de Montesquieu ou les articles juridiques d’Antoine-Gaspard Boucher d’Argis dans l’Encyclopédie – dans la diffusion (parfois édulcorée, voire contestée) de cette légende sur l’invention des lettres de change par les Juifs.

Sans remettre le moins du monde en cause la force de ce fil conducteur reconstitué par F. Trivellato entre les analyses de juristes chrétiens souvent hostiles aux Juifs et les réflexions économiques et politiques qui ont associé les Juifs aux pratiques les plus capitalistes, il nous semble que ce maître ouvrage invite aussi à suivre d’autres pistes sur les rapports de ces juristes chrétiens avec les règles hébraïques. La mention, faite par l’autrice, du rejet du récit de Cleirac par Robert-Joseph Pothier, dans son Traité du contrat de change (publié de manière posthume en 1773), est d’autant plus frappante que dans son Traité de l’usure, le même auteur entend réfuter les idées des « partisans des prêts à intérêts », et notamment celles du « célèbre Grotius », en citant les textes de l’Ancien Testament sans aucune pointe d’hostilité aux Juifs.

Dans la mesure où F. Trivellato associe très légitimement les textes juridiques sur les lettres de change à ceux sur l’usure et leurs rapports avec les Juifs, nous voudrions esquisser ici une autre piste qui s’inscrit dans le même esprit de renouvellement de l’histoire des idées juridiques. Les développements de Pothier dans son Traité de l’usure s’appuient sur une interprétation de l’Ancien Testament visant à montrer que l’usure était interdite entre Juifs selon le Deutéronome et le Lévitique, et que si elle était tolérée pour un prêteur juif à l’égard d’un emprunteur non juif, c’était en raison de la « dureté des cœurs » des Juifs (allusion à la phrase du Christ dans l’Évangile selon saint Matthieu pour rejeter la loi de Moïse sur la répudiation des femmes) et des menaces que faisaient peser sur ces derniers les peuples ennemis de Dieu (argument de saint Amboise)Footnote 36. Ce raisonnement reproduit presque à la lettre celui suivi dans Les lois civiles dans leur ordre naturel (1689) de Jean Domat, qui consacre tout un titre au prêt et à l’usure, sans toutefois citer aucun autre auteur du xviie siècle sur ce sujet controverséFootnote 37. Là aussi, le rejet du prêt à intérêt est associé à celui du divorce et au changement intervenu dans la loi divine par les commandements de Jésus-Christ, sans pour autant contenir de remarques ouvertement antisémites. Si Domat ne cite aucun nom à propos des objections à l’interdiction de l’usureFootnote 38, il nous semble très vraisemblable qu’il connaissait la défense du prêt à intérêt faite par Grotius dans le De jure belli ac pacis (1625), celle-ci ayant fait l’objet d’une réfutation par Bossuet à l’Assemblée du clergé de France en 1682, avec les mêmes arguments tirés de l’Ancien TestamentFootnote 39. Par ailleurs, le janséniste Jean Le Coreur avait publié en 1684 un Traité de la pratique des billets et du prêt à intérêt entre les négociants Footnote 40 qui, selon Pothier, cherchait à justifier le prêt à intérêt.

Les auteurs catholiques français du xviie siècle étaient parfaitement informés du fait que des protestants calvinistes (comme Grotius), luthériens (comme Samuel von Pufendorf) ou anglicans (John Selden, auteur en 1640 d’un De jure naturali et gentium juxta decisplinam Ebraeorum citant les textes en hébreu), voire des catholiques (comme le jésuite Leonardus LessiusFootnote 41), soutenaient certaines pratiques du prêt à intérêt et n’avaient aucune objection contre les lettres de change. Tous ces juristes discutaient de la délicate question des rapports entre Ancien et Nouveau Testament (deux lois divines et positives s’opposant sur certains points) et défendaient des formes diverses de droit naturel qui justifiaient des pratiques commerciales impliquant des Juifs comme des Chrétiens, sans faire part d’opinions antisémites. La sécularisation du droit contractuel est encore plus poussée au milieu du xviiie siècle chez Christian Wolff, qui consacre d’assez longs développements au contrat et aux lettres de change sans citer aucune autorité scripturaire et en paraissant ignorer toute querelle religieuse à ce sujetFootnote 42. N’y a-t-il pas là une autre piste pour distinguer les juristes antisémites (comme le Français et catholique Cleirac en rivalité avec des marchands juifs à Bordeaux) et ceux qui justifiaient les pratiques commerciales sans entrer dans des polémiques à l’égard des Juifs ?

La reconnaissance de la licéité du prêt à intérêt dès le début de la Révolution française (décret du 3 octobre 1789) précède de peu l’émancipation des Juifs « portugais, espagnols et avignonnais » (décret du 23 décembre 1789), même si celle de tous les Juifs de France n’intervient qu’à l’extrême fin de la Constituante (27 septembre 1791), avant que le « décret infâme » de 1808 ne remette en cause des créances détenues par des Juifs suspectés d’usure. Alors qu’ils ont constitué une part infime de la population, au-dessous de 1 %, les Juifs ont fait l’objet d’une haine leur attribuant un pouvoir économique démesuré, et bien des textes de juristes, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, reflètent des préjugés antisémites, parfois violents. L’ouvrage de F. Trivellato incite à mieux prendre en compte cette perspective dans les travaux d’histoire du droit, en confirmant que les juristes ne sont pas exempts des passions de leur temps, et s’érige comme un modèle de méthode pour désenclaver l’histoire des idées juridiques.

Footnotes

*

À propos de Francesca Trivellato, Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende, trad. par J. Delarun, Paris, Éd. du Seuil, [2019] 2023.

References

1. « Il diritto commerciale, autonomia di una disciplina » de Marco Cian fait partie des essais introductifs de la très récente réimpression (2024) de la première édition du De mercatura, seu marcatore tractatus de Benvenuto Stracca (Venise, 1553), considéré comme l’œuvre fondatrice du droit commercial en tant que discipline autonome. Dans cette réimpression de 2024, le texte de B. Stracca est accompagné d’essais introductifs de Marco Cian (p. 13-29), Stefania Gialdroni, Raffaele Volante, Maura Fortunati et Giancarlo Petrella : Benvenuto Stracca, De mercatura, seu mercatore tractatus, éd. par M. Cian, Turin, Giappichelli, 2024 ; voir aussi Luisa Brunori, « Benvenuto Stracca : abogado y fundador del derecho comercial ‘científico’ (1509-1578) », in Ó. Cruz Barney et S. Dauchy (dir.), Historia del derecho y abogacía. Seminario internacional/Histoire du droit et de la profession d’avocat. Séminaire international, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México/Instituto de Investigaciones Jurídicas, 2020, p. 1-11.

2. Victor Le Breton-Blon, L’évolution de la lettre de change pendant la seconde modernité. Étude conjointe des pratiques, des réglementations royales et des discours à travers le port de Bordeaux, 1673-1789, à paraître aux Presses de l’université Toulouse Capitole.

3. Veronica Aoki Santarosa, « Financing Long-Distance Trade: The Joint Liability Rule and Bills of Exchange in Eighteenth-Century France », The Journal of Economic History, 75-3, 2015, p. 690-719.

4. V. Le Breton-Blon, L’évolution de la lettre de change…, op. cit.

5. Luisa Brunori, « La représentation comme droit : la lettre de change (xiv-xv s.) », in N. Goedert et N. Maillard (dir.), Le droit en représentation(s), Paris, Mare & Martin, 2017, p. 233-243.

6. Benvenuto Stracca, De assecurationibus, tractatus, Venise, Comin da Trino, 1569.

7. Sigismondo Scaccia, Tractatus de commerciis, et cambio, Rome, Andrea Brugiotti, 1619.

8. Wim Decock, « Christian Contract Law and the Morality of the Market: A Historical Perspective », in R. F. Cochran Jr. et M. P. Moreland (dir.), Christianity and Private Law, Londres, Routledge, 2020, p. 145-162 ; id., « Knowing before Judging: Law and Economic Analysis in Early Modern Jesuit Ethics », Journal of Markets & Morality, 21-2, 2018, p. 309-330 ; Luisa Brunori, « Ventes à crédit et spéculation au Siglo de Oro à travers le regard d’un des premiers juristes du marché globalisé : Tomás de Mercado et sa Suma de tratos y contratos (1569) », Revue des contrats, 3, 2016, p. 521-526.

9. Giovanni Villani (1280-1348) fut marchand, historien et chroniqueur ; son ouvrage, Nuova Cronica, relate l’histoire de sa ville, Florence, depuis l’Antiquité jusqu’à la première moitié du xive siècle. F. Trivellato souligne la fréquence avec laquelle les écrits de Villani furent utilisés pour nourrir la légende, y compris bien après leur rédaction et souvent de manière totalement décontextualisée.

10. Philibert-Joseph Masson, Instruction des négocians, tirée des ordonnances, édits, déclarations et arrêts, et des usages reçus, Blois, Philibert-Joseph Masson, 1736, p. 34 et 37 : « Il y a deux sortes de protêts, l’un faute d’acceptation, l’autre faute de payement […] les motifs du refus d’acceptation étant le défaut d’ordres ou de fonds. »

11. « Motifs du titre viii du livre ier. Présentés par MM. Bégouen, Fourcroy et Bérenger, conseillers d’État. Séance du mercredi 2 septembre », in Code du commerce. Édition conforme à l’édition originale de l’Imprimerie impériale ; à laquelle on a ajouté l’exposé des motifs, Paris, Frères Mame, 1810, p. 18.

12. « Décret infâme » est le surnom rapidement attribué au troisième des décrets concernant les Juifs en France, établi par Napoléon Ier le 17 mars 1808 ; ce décret visait la « réforme sociale des Juifs », réglementant l’usure, le commerce et la conscription des Juifs. L’historiographie juridique continue aujourd’hui à identifier ce décret par cette appellation, bien qu’il soit impossible de déterminer l’origine de cette expression.

13. Le projet ERC Advanced « Mediterranean Reconfiguration » qui a proposé une analyse des changements historiques conduisant à une « internationalisation » du commerce en Méditerranée du xve au xixe siècle est à cet égard emblématique. Ces questions sont examinées à travers l’étude comparative des litiges commerciaux et des procédures de conciliation concernant le commerce dans les villes portuaires méditerranéennes. Dans le même esprit, le projet ERC AveTransRisk se concentre sur l’analyse historique des institutions et leur influence sur le développement économique, en examinant un instrument juridique – la general average – qui soutient le commerce maritime en redistribuant les coûts des dommages entre toutes les parties intéressées.

14. À titre d’exemple, parmi d’autres : Ana Belem Fernández Castro, Justicia, comercio e instituciones en la carrera de Indias, siglo xvi, Toulouse, Presses de l’université Toulouse Capitole, 2024 ; Andrea Addobbati, Maria Fusaro et Luisa Piccinno (dir.), General Average and Risk Management in Medieval and Early Modern Maritime Business, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2022 ; Tijl Vanneste, Intra-European Litigation in Eighteenth-Century Izmir: The Role of the Merchants’ Style, Leyde, Brill, 2022 ; Francisco Apellániz, Breaching the Bronze Wall: Franks at Mamluk and Ottoman Courts and Markets, Leyde, Brill, 2020 ; Guillaume Calafat, Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, xvii e siècle), Paris, Éd. du Seuil, 2019 ; Wolfgang Kaiser et Johann Petitjean (dir.), no special « Litigation and the Elements of Proof in the Mediterranean (16th-19th C.) », Quaderni storici, 3, 2016. Voir aussi le travail de numérisation de documents juridiques et commerciaux illustrant les dynamiques de la richesse et du commerce occidentaux qui ont façonné le monde de la seconde moitié du xve siècle au début du xxe siècle, réalisé par le projet « The Making of the Modern World ».

15. Le projet a donné lieu à deux publications : Luisa Brunori et al., Le droit face à l’économie sans travail, t. 1, Sources intellectuelles, acteurs, résolution des conflits, Paris, Classiques Garnier, 2019 ; Luisa Brunori et al., Le droit face à l’économie sans travail, t. 2, L’approche internationale, Paris, Classique Garnier, 2020. Il suffit de parcourir les tables des matières pour constater à quel point le dialogue entre droit, histoire et économie a été poussé.

16. Il s’agit du projet ERC Starting « Analysing Coherence in Law through Legal Scholarship » et du projet ERC Consolidator « Causal Pattern Analysis of Economic Sovereignty ».

17. Projet ERC Consolidator « Migrating Commercial Law and Language ».

18. Charlotte Broussy, Histoire du contrat d’assurance, xvie-xxe siècle. De la mer à la terre, Paris, LGDJ, 2023, ouvrage tiré d’une thèse en histoire du droit soutenue en 2016.

19. Francesca Trivellato, Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende, trad. par J. Delarun, Paris, Éd. du Seuil, [2019] 2023

20. Les cours de Michel Villey, dispensés de 1961 à 1966 et publiés dans La formation de la pensée juridique moderne, Paris, Montchrestien, 1968, puis réédités aux PUF en 2003, ont constitué la principale, sinon l’unique, référence en matière d’histoire des idées juridiques pour les historiens et historiennes du droit dans les dernières décennies du xxe siècle.

21. L’œuvre du romaniste Yan Thomas, et notamment ses articles republiés après son décès, dans Les opérations du droit, éd. par M.-A. Hermitte et P. Napoli, Paris, Éd. de l’EHESS/Gallimard/Éd. du Seuil, 2011, constitue une exception qui place au centre de ses investigations le « remodelage » des faits sociaux par leur qualification juridique.

22. Jacques Le Goff, « Histoire médiévale et histoire du droit : un dialogue difficile », in P. Grossi (dir.), Storia sociale e dimensione giuridica. Strumenti d’indagine e ipotisi di lavoro, Milan, Giuffrè, 1986, p. 23-64, reprochant notamment aux historiens du droit de ne pas voir ce qu’il y a « derrière le droit » et de rester attachés à un vocabulaire rigide et souvent anachronique.

23. Paul Koschaker, Europa und das römische Recht, Munich, Beck, [1947] 1966 ; Franz Wieacker, Privatrechtsgeschichte der Neuzeit. Unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Entwicklung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1967.

24. Sur les points de contact et les différences entre les travaux de Paolo Grossi et de Michael Stolleis, le numéro 24 de la revue électronique Clio@Themis, « Hommages à Michel Stolleis et Paolo Grossi » (2024), donne une bonne idée du point de vue des historiennes et historiens du droit travaillant en France.

25. À titre d’exemple d’intérêts nouveaux pour l’édition juridique, voir Robert Carvais et Jean-Louis Halpérin (dir.), L’histoire de l’édition juridique, xvi e-xxi e siècle. Un état des lieux, Paris, LGDJ, 2021.

26. Pour utiliser l’expression de Marc Angenot, L’histoire des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014, p. 61.

27. Frédéric Audren, « Introduction : l’histoire intellectuelle du droit ou la fin du ‘Grand Partage’ », F. Audren (dir.), no spécial « Juristes et sciences du droit en société. Éléments pour une histoire intellectuelle de la raison juridique (xixe-xxe siècles) », Clio @Themis, 9, 2015, https://doi.org/10.35562/cliothemis.1511.

28. G. Calafat, Une mer jalousée, op. cit., p. 18, à propos de cette expression empruntée au juriste belge Ernest Nys.

29. Jean-Louis Halpérin, « Une histoire transnationale des idées juridiques ? », G. Cazals et N. Hakim (dir.), no spécial « L’histoire de la pensée juridique : historiographie, actualité et enjeux », Clio@Thémis, 14, 2018, https://doi.org/10.35562/cliothemis.751.

30. Lauren A. Benton, Law and Colonial Cultures: Legal Regimes in World History, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; ead., Rage for Order: The British Empire and the Origins of International Law, 1800-1850, Cambridge, Harvard University Press, 2016 ; Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law, 1870-1960, New York, Cambridge University Press, 2001 et, plus récemment, id., To the Uttermost Parts of the Earth: Legal Imagination and International Power, 1300-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 2021 ; David Armitage, Foundations of Modern International Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Arnulf Becker Lorca, Mestizo International Law: A Global Intellectual History, 1842-1933, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.

31. Anne-Charlotte Martineau (dir.), La traite négrière vue par l’École de Salamanque, xvie siècle, Paris, Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice, 2023. Sur un angle critique à l’égard des thèses de Paolo Grossi, voir Simona Cerutti, Justice sommaire. Pratiques et idéaux dans une société d’Ancien Régime, Turin, xviiie siècle, trad. par G. Calafat, Paris, Éd. de l’EHESS, [2003] 2021, p. 101.

32. Voir Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1998 – un ouvrage qui ne peut être ignoré par les historiens et historiennes des juristes jansénistes.

33. Par exemple, Jérôme Ferrand, « La nécessité, passager clandestin de l’abolitionnisme beccarien », in P. Audegean et al. (dir.), Le bonheur du plus grand nombre. Beccaria et les Lumières, Lyon, ENS Éditions, 2017, p. 127-138.

34. Stefano Solimano, Amori in causa. Strategie matrimoniali nel Regno d’Italia napoleonico, 1806-1814, Turin, Giappichelli, 2017.

35. Jean-Louis Halpérin, Histoire de l’état des juristes. Allemagne, xix e-xx e siècles, Paris, Classiques Garnier, 2015.

36. Robert-Joseph Pothier, Traité du prêt de consomption, seconde partie « De l’usure qui se commet dans le contrat de prêt de consomption », in Œuvres de Pothier, vol. 5, éd. par J. J. Bugnet, Paris, H. Plon/Cosse et Marchal, 1861, p. 66.

37. Jean Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1689, p. 254-257.

38. Comme il le fait d’habitude, au point que sa connaissance de Grotius et de Hobbes a été questionnée, alors même que son ami Pascal était bien au fait de ces deux auteurs.

39. Jacques-Bénigne Bossuet, Traité de l’usure, Albi, J.-B. Rodière, 1826. Si ce traité n’a été édité qu’au xixe siècle, il était certainement connu quand J. Domat écrivait les Lois civiles. Or, il débute à la page 20 par cette phrase : « De tout ce qui a été dit en faveur de l’usure, je ne connais rien de meilleur, ni de plus judicieux que ce qu’en a écrit Grotius sur saint Luc », avant de réfuter les arguments de Grotius sur l’interprétation de l’Ancien Testament, notamment avec la mention de la « dureté des cœurs » des Juifs (p. 23).

40. [Jean Le Coreur], Traité de la pratique des billets et du prêt à intérêt entre les négociants, Mons, Gaspard Migeot, 2e éd, 1684, p. 116, pour une réfutation de l’argument de saint Ambroise (comment l’usure aurait pu être permise à l’égard d’étrangers qu’il fallait par ailleurs exterminer ?).

41. Wim Decock, « L’usure face au marché : Lessius (1554-1623) et l’escompte des lettres obligataires », A. Girollet (dir.), no spécial « Le droit, les affaires et l’argent. Célébration du bicentenaire du code de commerce », MSHDB, 65, 2008, p. 221-238 et id., Le marché du mérite. Penser le droit et l’économie avec Léonard Lessius, Bruxelles, Zones sensibles, 2019.

42. Christian Wolff, Principes du droit de la nature et des gens, vol. 2, trad. par J.-H.-S. Formey (1758), Caen, université de Caen/Centre de philosophie politique et juridique, [1758] 1988, p. 134-144.