Ce sont la captivité, la migration et les marchés du travail, plutôt que les missions « civilisatrices » ou l’évitement anarchiste de l’État, qui définirent la frontière du sud-ouest de l’empire des Ming. Revenant sur la thèse de James C. Scott sur la Zomia, cet article montre que les communautés des hautes terres n’ont pas simplement fui l’État ; elles lui firent concurrence en acquérant des personnes, de la main-d’œuvre et des compétences. Obtenus par la capture forcée, le recrutement ciblé ou la défection volontaire, certains de ces nouveaux arrivants étaient recherchés pour leur travail manuel, d’autres pour leurs capacités militaires ou reproductives, ou encore pour leurs connaissances dans l’art de gouverner. Pour illustrer cette économie du travail, le présent article s’appuie sur deux études de cas. Le Duzhang, d’abord acéphale, construisit un régime grâce à des raids de grande ampleur menés au cours du xvie siècle, absorbant des captifs han et non han, et des transfuges qui lui apportèrent de la légitimité et des compétences. Bozhou, entité longtemps gouvernée par des fonctionnaires natifs (tusi), attira des migrants et des conseillers volontaires han et non han. Les Ming répliquèrent non seulement par la guerre, mais aussi par le droit, utilisant la loi comme une arme pour affaiblir la politique des Bozhou avant le conflit décisif de 1599-1600 qui se conclut par leur « barbarisation ». De l’autre côté de la frontière, des mercenaires miao utilisaient leur bravoure militaire pour obtenir des ressources précieuses auprès du plus offrant, telles que des terres, des femmes ou de l’argent. Il en résulta un champ politique hybride, marqué par la confusion entre coercition et consentement, par l’accroissement des migrations et par une lutte farouche entre régimes rivaux – impérial et indigène – pour le contrôle de la main-d’œuvre. L’expansion impériale des Ming apparaît non pas comme l’aboutissement d’une véritable conquête, mais comme une réaction pragmatique et improvisée à la compétition acharnée pour la main-d’œuvre qui se jouait à ses marges.