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Les fers de lance de la culture

Ethnogenèse, contacts interculturels et travailleurs de la guerre grecs dans la Méditerranée archaïque

Published online by Cambridge University Press:  18 December 2025

Nino Luraghi*
Affiliation:
University of Oxford nino.luraghi@classics.ox.ac.uk
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Abstract

Cet article examine le rôle des travailleurs de la guerre grecs, souvent qualifiés de « mercenaires », dans la transmission des cultures du Proche-Orient et de l’Égypte vers la Grèce entre le viiie et le vie siècle av. J.-C., ainsi que l’influence de leurs activités sur la construction de leur propre identité ethnique. Il s’ouvre par une discussion sur la terminologie savante appliquée aux travailleurs de la guerre étrangers, depuis la Grèce antique jusqu’à l’époque contemporaine, en soulignant ses ambiguïtés et ses limites. Les sources pertinentes attestant la présence et les activités de ces travailleurs de la guerre grecs en Méditerranée orientale sont ensuite présentées dans une perspective comparative, à partir d’études de cas tirées d’autres périodes, avec une attention particulière portée à l’armée des rois néo-assyriens et au rôle des Scandinaves dans l’armée byzantine de la dynastie macédonienne. Enfin, un panorama plus large des formations et des subdivisions ethniques au sein des armées impériales, s’appuyant sur des études de cas provenant de l’Antiquité, du Moyen Âge et d’époques ultérieures, sert de point de départ à une réévaluation du processus de formation d’une identité ionienne dans la Méditerranée orientale archaïque.

This article considers the role of Greek war workers, often called “mercenaries,” in the transmission of culture from the Near East and Egypt to Greece, as well as the impact of their activities on the formulation of their own ethnic identity, from the eighth to the sixth century BCE. It opens with a discussion of the scholarly terminology applied to foreign war workers from ancient Greece to the present, showing its ambiguities and limitations. The evidence for the presence and activities of Greek war workers in the eastern Mediterranean is then presented in a comparative framework, leveraging case studies from other periods, with special attention paid to the army of the Neo-Assyrian kings and the role of Scandinavians in the Byzantine army of the Macedonian dynasty. In conclusion, a broader overview of ethnic formations and subdivisions within imperial armies, drawing on case studies from antiquity, the Middle Ages, and beyond, makes it possible to reevaluate the formation of an Ionian identity in the archaic eastern Mediterranean.

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Type
Travailleurs, migrations et cultures
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© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of Les Éditions de l’EHESS

Cet article étudie les activités et les mouvements des travailleurs de la guerre grecs en Méditerranée orientale, du viiie au vie siècle av. n. è. Comme l’attestent les vestiges archéologiques, les Grecs accusaient alors un retard patent dans différents domaines vis-à-vis de leurs voisins orientaux. Il n’existe ainsi aucune trace d’une cité grecque du viiie siècle capable de rivaliser, en termes de taille et de complexité, avec les villes de Cilicie et de Syrie, sans parler des systèmes urbains d’Égypte et de Mésopotamie. Relativement pauvres en ressources naturelles telles que les métaux ou les pierres précieuses, en particulier avant la découverte des mines d’argent du Laurion vers la fin du vie siècle av. n. è., les Grecs n’avaient pas grand-chose à échanger sur les marchés méditerranéensFootnote 1. En conséquence, ils s’adonnaient aux activités d’une société modeste et peu pourvue, sise aux marges des formations politiques les plus dotées : les héros homériques se livrent ainsi volontiers au pillage et à la piraterie ; dans la Lamentation sur Tyr Footnote 2, les Javan, c’est-à-dire les Grecs, sont désignés comme des trafiquants d’esclavesFootnote 3. Du pillage à une implication plus directe en tant que travailleurs de la guerre au service de riches voisins, il n’y avait qu’un pasFootnote 4.

Le présent article aborde deux questions principales : d’une part, le rôle de médiateurs culturels joué par les travailleurs de la guerre dans ce que Walter Burkert a appelé la « révolution orientalisante » du monde grec à l’époque archaïqueFootnote 5 ; d’autre part, le lien entre les activités militaires et la négociation d’identités ethniques, en particulier dans le cadre d’armées composites. En d’autres termes, je cherche à considérer les travailleurs de la guerre grecs comme des agents et des vecteurs de contacts culturels. Leur étude permet en effet d’analyser la façon dont les interactions au sein de grandes armées impériales contribuent à fabriquer les assignations ethniques et, partant, à affermir une conscience identitaire chez les travailleurs de la guerre d’origine étrangère.

Afin d’examiner ces deux questions, je propose de m’aventurer en dehors de mon strict domaine de spécialité, aussi bien en termes de discipline que d’époque. Dans un premier temps, j’examine les travaux actuels sur la présence de travailleurs de la guerre étrangers dans les rangs de l’armée néo-assyrienne, un précédent important qui préfigure d’une certaine manière les activités plus documentées des Grecs à partir du viie siècle. Dans un second temps, j’avance des éléments de comparaison puisés à des études portant sur les activités et les traits culturels des travailleurs de la guerre dans d’autres contextes et à d’autres époquesFootnote 6. Sans prétendre ici contribuer au vaste chantier de l’histoire comparée, mon approche s’inscrit néanmoins dans une perspective résolument comparativeFootnote 7. L’examen des nombreuses recherches réalisées ces dernières années au sujet des travailleurs de la guerre et des mercenaires m’a permis d’isoler des exemples spécifiques qui me paraissent particulièrement pertinents pour nourrir la réflexion. Sans faire abstraction des différences entre des contextes historiques pouvant être très éloignés les uns des autres dans l’espace et dans le temps, ces études montrent non seulement comment des historiens et historiennes de différents horizons ont pu aborder des problèmes similaires, mais aussi comment des phénomènes culturels que les spécialistes de la Grèce antique considèrent volontiers comme des traits distinctifs de la civilisation grecque se retrouvent de façon éclairante dans d’autres contextes culturelsFootnote 8.

Il va sans dire que notre sélection de comparanda n’est pas la seule envisageable : selon la perspective adoptée, d’autres cas pourraient s’avérer tout aussi intéressants et la sélection être considérablement élargie, notamment en ce qui concerne le lien entre les groupes de travailleurs de la guerre, les armées impériales et l’émergence des identités ethniques. J’espère mener cette recherche dans un prochain travail. Pour l’heure, il convient de préciser que les études présentées ici ne permettent pas, en tant que telles, de tirer des conclusions précises sur les travailleurs de la guerre grecs de l’époque archaïque. Elles indiquent plutôt une trajectoire interprétative possible dont il convient d’éprouver le degré de plausibilité à l’aide des documents disponibles.

Recourir à une approche comparative pour étudier le cas des travailleurs de la guerre présente un autre avantage, non négligeable : mettre en évidence les problèmes que soulèvent les choix terminologiques opérés par différents chercheurs et chercheuses. Il est donc utile de commencer par examiner les termes utilisés pour désigner les travailleurs de la guerre dans différents contextes historiques, en s’intéressant tout particulièrement à leur sens littéral et à leurs connotations.

Se battre pour l’autre : typologies et stéréotypes

Par-delà les cultures et les époques, d’Archiloque de Paros au groupe Wagner, les soldats de fortune ont toujours eu mauvaise réputation. En partant du principe qu’ils se battent pour un employeur avec lequel ils n’ont d’autre lien que le paiement versé en échange de leurs services, les mercenaires suscitent quasi systématiquement défiance et suspicion. Dans une étude récente, Alexander Spencer convoque une impressionnante galerie de témoins, parmi lesquels Nicolas Machiavel, Frédéric II de Prusse et Jean-Jacques Rousseau, pour documenter ce problème de réputation tenaceFootnote 9. Avec une remarquable continuité d’une culture à une autre, l’image du mercenaire se voit systématiquement associée à une longue liste de stéréotypes négatifs. Un entrepreneur de la violence ne peut qu’être suspecté d’y éprouver du plaisir, et les mercenaires sont souvent décrits comme particulièrement brutaux. Les lecteurs d’Hérodote se souviennent de l’histoire de Phanès d’Halicarnasse, ce capitaine de mercenaires dans l’armée du pharaon Ahmôsis II qui fait défection pour se mettre au service des Perses et enseigner au roi Cambyse II comment faire traverser le désert du Sinaï à ses troupes. En représailles, les mercenaires grecs et cariens du pharaon égorgent les enfants de Phanès sous ses yeux et boivent leur sang avant de livrer bataille aux PersesFootnote 10. On pourrait tout aussi bien évoquer les atrocités commises par les mercenaires européens et sud-africains au Congo dans les années 1960, ou le saccage de Césène par les mercenaires de John Hawkwood en 1377Footnote 11. La liste est longue. D’un autre point de vue, on peut également penser qu’un homme qui se bat pour de l’argent tient plus à la vie qu’un combattant mû par le patriotisme ; d’où le topos du soldat de fortune rechignant à se battre qui a inspiré à Pétrarque quelques vers sur le bavarico inganno, soit « artifice bavarois », où il fustige le supposé manque d’engagement des mercenaires allemands dans l’Italie du xive siècleFootnote 12. Dans Le Prince, Machiavel n’a de cesse lui aussi de dénoncer le manque de convictions des mercenaires, qu’il accuse de nombreux mauxFootnote 13.

Cela n’aurait pas grand sens de chercher des preuves empiriques susceptibles d’infirmer ces présupposés, comme c’est généralement le cas avec les topoï. Cette accumulation de rhétorique hostile pose toutefois un réel problème pour toute étude comparative des mercenaires en Méditerranée orientale durant l’Antiquité, voire pour toute étude comparative des mercenaires en général, dans la mesure où cela vient saper toute tentative de définition. À des fins pratiques bien sûr, il existe une définition de ce qu’est un mercenaire. Celle-ci a été convenue au plus haut niveau et se trouve dans le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977. Selon cette définition, le terme « mercenaire » s’entend de toute personne :

a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;

b) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;

c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie ;

d) qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ;

e) qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et

f) qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit ÉtatFootnote 14.

Toujours en 1977, une définition très similaire a été adoptée dans la Convention de l’Organisation de l’Union africaine sur l’élimination du mercenariat en AfriqueFootnote 15.

S’il est inutile de préciser que cette définition est tout à fait anachronique pour les contextes antérieurs à la période contemporaineFootnote 16, force est de constater que depuis son adoption en 1977, elle est devenue doublement anachronique, la réalité ayant dépassé les hypothèses sur lesquelles elle reposait. Prenons par exemple le point (c) concernant les salaires plus élevés, qui reflète clairement l’indignation suscitée par les mercenaires des pays développés qui prirent part à des conflits dans le tiers-monde dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, ou le point (d), qui n’avait de sens que tant que les mercenaires étaient engagés à l’étranger ou par des parties issues d’autres pays que le leur.

C’est précisément le recours, explicite ou le plus souvent implicite, à des définitions anachroniques et l’absence de points de comparaison solides qui occasionnèrent des débats parmi les historiens et les historiennes de la Grèce antique à propos de l’utilisation du terme « mercenaire », en particulier au sujet de la période archaïque. Dans un précédent article, j’ai réfuté l’idée selon laquelle les travailleurs de la guerre de la Grèce archaïque n’auraient été qu’une poignée d’aristocrates en quête d’aventures qui combattaient conformément aux préceptes de la réciprocité aristocratique et devaient donc être distingués des « vrais » mercenairesFootnote 17. Une telle conception est le produit des biais de la conservation des documents qui mettent inévitablement en avant les élites sociales et leurs prétendues valeurs guerrières aristocratiques ; elle confond rhétorique et pratique sociale. Illustrons cela avec quelques exemples, presque pris au hasard. On retrouve le même éthos aristocratique, fondé sur l’honneur et la réciprocité, dans les discours sur les bandes de guerriers scandinaves du début du Moyen Âge, dont l’enrôlement en tant que travailleurs de la guerre est amplement documenté, ou encore dans les témoignages qui portent sur les soldats suisses et les lansquenets, ces fantassins allemands engagés au service de puissances étrangères au début de l’époque moderne. Or, personne ne met sérieusement en cause l’usage du terme « mercenaires » pour les désignerFootnote 18.

L’absence d’une réflexion commune sur ce que l’on entend par « mercenaires » aboutit à de multiples impasses lorsqu’il s’agit d’étudier les travailleurs de la guerre, en particulier dans la Méditerranée antique, où les documents sont plus rares. On trouve un exemple significatif de cette carence dans les études consacrées à cette formidable machine de guerre qu’était l’armée des rois néo-assyriens, en particulier entre la fin du viiie siècle et la première moitié du viie siècle av. n. è., à partir du règne du roi Tiglath-Phalazar III (745-727 av. n. è.). S’agissant de savoir si l’on peut évoquer la présence de mercenaires dans ce contexte, les opinions sont très tranchées, souvent sans véritable discussionFootnote 19. Les annales royales présentent de nombreuses mentions de la pratique consistant, pour le roi assyrien, à déporter la population ennemie après une victoire et à prendre le contrôle d’une partie des forces armées ennemies, souvent les unités d’élite, pour les intégrer à sa propre armée – « il les comptait parmi les Assyriens », peut-on ainsi lire dans les inscriptions royalesFootnote 20. Des études récentes ont mis en évidence les représentations de cette armée multiethnique de la fin du viiie siècle et du viie siècle av. n. è. sur les bas-reliefs du palais de Nimroud et ailleurs, et notamment le fait que les non-Assyriens faisaient partie intégrante des troupes assyriennesFootnote 21. Doit-on les appeler « soldats professionnels », « auxiliaires » ou « mercenaires » ? Les assyriologues emploient indifféremment les trois termes, sans s’attarder sur le choix des mots.

Ce problème de définition n’aide guère à y voir clair. En parlant d’unités identifiées par un ethnonyme servant sous le commandement du gouverneur d’une ville assyrienne, J. Nicholas Postgate les décrit comme des « soldats professionnels à plein temps », mais il ajoute qu’« il n’existe aucune preuve qu’il s’agissait de mercenaires employés en échange d’une rémunération »Footnote 22. Karen Radner, quant à elle, souligne la présence de travailleurs de la guerre enrôlés dans l’armée de Sargon II, roi d’Assyrie de 722 à 705 av. n. è.Footnote 23. Pour quelles raisons ces travailleurs de la guerre étrangers servant dans les armées assyriennes ne seraient-ils pas qualifiés de mercenaires ? Le fait que des sources officielles comme les inscriptions royales assyriennes décrivent toutes les composantes de l’armée assyrienne comme liées par un serment de loyauté envers le roi ne prouve en rien qu’aucun de ces soldats n’ait été recruté à l’étranger. Dans son analyse du terme kitru (généralement utilisé pour désigner quelque chose qui est de l’ordre de l’aide [militaire], des auxiliaires, de la force auxiliaire ou des alliés), Mario Liverani montre que les inscriptions royales assyriennes présentent la fourniture d’une aide militaire contre rétribution comme une activité propre aux ennemis des AssyriensFootnote 24. Pourtant, des marins grecs se trouvaient bel et bien au sein de la flotte assemblée en 694 av. n. è. par Sennachérib, fils de Sargon II, à Ninive pour descendre le Tigre, et il semble peu probable que tous fussent des prisonniers de guerreFootnote 25.

Prendre en compte les débats que les spécialistes d’autres contextes et périodes mènent en parallèle se révèle ici d’une grande utilité. Les travaux d’histoire médiévale et moderne ont notamment tendance à s’appuyer sur une base comparative plus large, avec des résultats qui méritent l’attention des spécialistes de la Méditerranée antique. En 2007, Sarah Percy a consacré tout un ouvrage à définir les soldats mercenaires du xiie au xxe siècle. Elle y aborde l’histoire de l’Europe à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne sous l’angle de la sociologie et des sciences politiques afin d’historiciser différents types d’entrepreneurs de la guerre actifs après la Seconde Guerre mondiale et la forte stigmatisation qui leur est associée. Elle en conclut que « [d]epuis qu’il existe des mercenaires, on édicte des normes qui prohibent d’y avoir recours ». Ces normes hostiles aux mercenaires procèdent de l’idée qu’ils se battent pour leur propre compte et non pour une cause qui pourrait moralement justifier leur violence. Cependant, c’est le fait que les troupes mercenaires semblent agir en dehors de tout contrôle politique légitime qui est la principale cause du développement de cette norme. S. Percy définit donc un mercenaire comme « un combattant qui prend les armes non pour défendre une cause, mais pour gagner de l’argent, et qui ne se place pas sous le contrôle d’un État ou d’une autorité légitime ». Elle utilise ensuite ces critères pour dresser une typologie des différentes catégories de combattants, des compagnies libres du Moyen Âge aux agents de sécurité des sociétés militaires privées. Selon elle, quatre facteurs sous-tendent cette norme opposée aux mercenaires, quels que soient les contextes historiques : une distinction nette entre soldats nationaux et étrangers ; la notion de juste cause comme motivation pour prendre les armes ; le sentiment que ce sont les membres d’une communauté qui doivent se battre en son nom ; et la croyance que les mercenaires seraient moins fiables sur le champ de batailleFootnote 26. On peut voir un épiphénomène de cette condamnation sociale des troupes mercenaires dans l’utilisation courante de termes euphémistiques pour les désigner, par exemple Reiseläufer (voyageurs) pour les fantassins suisses du xve siècle, soldati di ventura (soldats de fortune) pour les mercenaires actifs en Italie à la même période, ou encore l’appellation plus contemporaine de « sociétés de sécurité ».

En accordant une grande importance au discours normatif, S. Percy attire une fois de plus l’attention sur l’immuabilité des stéréotypes négatifs associés aux travailleurs de la guerre étrangers, quelles que soient les cultures. Bien qu’elle ne le formule pas explicitement, sa recherche montre que, dans la pratique, le terme « mercenaire » fonctionne aussi bien comme une épithète que comme une description – un aspect que je développerai ici. Un point s’avère particulièrement important pour la présente discussion : les diatribes des humanistes italiens, avec en point d’orgue Le Prince de Machiavel, ou la critique morale du réformateur zurichois Ulrich Zwingli ne sont pas des phénomènes propres à la période moderne ; au contraire, elles trouvent des échos beaucoup plus lointains dans l’histoire. Au ive siècle av. n. è., dans son discours Sur la paix, Isocrate reprochait aux Athéniens d’employer des soldats mercenaires, qu’il qualifiait d’« ennemis communs de toute l’humanité » et décrivait comme des criminels, des déserteurs et, ce qui est encore plus parlant pour un Grec, des « sans polis » ou « sans cité » (apolidai), prompts à changer de camp contre un salaire plus élevéFootnote 27. De même, dans une célèbre discussion sur la bravoure martiale, Aristote questionnait la loyauté des mercenaires en cas de grand danger et de l’imminence d’une défaite, pour les opposer aux citoyens conscrits qui se battraient jusqu’à la mortFootnote 28.

Il est possible que les mercenaires aient déjà été stigmatisés de la sorte dès la période archaïque. L’usage de termes euphémistiques pour les désigner, épiphénomène typique de la norme sociale condamnant le mercenariat, est attesté dès le milieu du viie siècle av. n. è., si ce n’est avant. Le poète Archiloque de Paros se décrivait comme quelqu’un qui allait être appelé epikouros « comme un Carien »Footnote 29. Le terme grec epikouros peut se traduire par « auxiliaire » ou « allié »Footnote 30, et les Cariens d’Asie Mineure occidentale, comme nous le verrons, avaient la réputation de fournir nombre de mercenaires, en particulier en Égypte. Le vers d’Archiloque cherchait ainsi à lever le voile sur l’euphémisme attaché à cette épithète et à en révéler la signification profonde. Le sens de ce fragment est confirmé par un autre vers d’Archiloque, que l’on peut traduire par : « Un epikouros est apprécié aussi longtemps qu’il se batFootnote 31. »

Serait-il possible de remonter encore plus loin dans le temps ? Le terme epikouros apparaît fréquemment dans l’Iliade, où il désigne les nombreux contingents originaires des différentes régions d’Asie Mineure et de Thrace qui ont combattu aux côtés des Troyens contre l’armée achéenne commandée par Agamemnon. Leur rôle, du moins du point de vue des Achéens, fut prépondérant : selon Agamemnon, sans eux, Troie eût été prise en un éclair du fait de l’écrasante supériorité numérique des Achéens (Iliade II, 123-133). Leur motivation, en revanche, n’est pas tout à fait claire. Les epikouroi semblent avoir répondu à l’appel d’Hector (Iliade XVI, 538-540). Pour ce dernier, leur fonction est de protéger les femmes et les enfants des Troyens, c’est-à-dire d’empêcher la chute de la ville, comme l’observe également Agamemnon depuis le camp adverse (Iliade V, 472-489). Hector affirme en outre qu’il épuise le peuple troyen afin d’augmenter le thymos des epikouroi, pour préserver leur moral, pourrait-on dire. En d’autres termes, les ressources de la communauté sont destinées à récompenser ses combattants (Iliade XVII, 220-232). Dans l’univers de la poésie épique, la question de savoir si ces epikouroi auraient combattu sans la promesse d’une récompense n’était pas pertinente. Le doute demeure donc.

Au-delà des epikouroi homériques, on trouve également des traces d’une rhétorique hostile aux mercenaires dans les premiers documents provenant de la Méditerranée orientale. La prophétie de Jérémie (46 : 16-17) concernant la bataille de Karkemish, à l’issue de laquelle Nabuchodonosor II vainquit le pharaon Néchao II en 605 av. n. è., décrit les soldats du pharaon en des termes indiquant clairement qu’ils n’étaient pas égyptiens et qu’ils étaient prêts à abandonner leur employeur :

[I]ls disent :

« Debout ! Réintégrons notre peuple

et notre pays natal, loin de l’épée

impitoyable ! »

Surnommez le pharaon, roi d’Égypte :

« Tapage à contretemps. »

Une deuxième prophétie est encore plus explicite (46 : 20-21) :

Génisse ravissante que l’Égypte !

Mais du nord, des taons viennent sur elle.

Chez elle, même les mercenaires

sont comme des taurillons à l’engrais.

Eux aussi, ils tournent le dos ;

ils fuient tous ensemble ;

ils ne résistent pas.

Oui, le jour de leur ruine vient sur eux,

le moment où il faudra rendre compte.

En d’autres termes, les mercenaires, prêts à s’engraisser en temps de paix, sont facilement vaincus et abandonnent leur employeur lorsqu’éclate la guerre ; on retrouve le même poncif chez Machiavel et AristoteFootnote 32. À qui s’aviserait de prendre ces stéréotypes au sérieux, il faut rappeler que l’armée conquérante de Nabuchodonosor comptait probablement des mercenaires grecs dans ses rangsFootnote 33.

À cette époque déjà, le stéréotype était utilisé par les belligérants pour se condamner réciproquement. Non loin dans le temps et dans l’espace, la stèle célébrant la victoire du pharaon Ahmôsis II, qui décrit son triomphe dans la guerre civile contre le pharaon légitime Apriès en 570 av. n. è., évoque les « innombrables Grecs » qui avaient combattu au service de son adversaire. Ahmôsis, quant à lui, aurait adressé ces mots à son armée : « Celui qui se bat vaillamment est celui qui se bat pour sa terre. Son cœur est prêt à se battre pour protéger le bien-être de ses prochesFootnote 34. »

La version gravée sur la stèle correspond au récit qu’en donne Hérodote, qui présente le soulèvement d’Ahmôsis comme un mouvement indigène ciblant les GrecsFootnote 35. Avant de souscrire à cette lecture, il faut souligner que, trois ans plus tard selon la stèle d’Ahmôsis, lorsque Nabuchodonosor attaque l’Égypte afin de rétablir Apriès, un texte babylonien mentionne la présence de Grecs parmi les troupes rassemblées par Ahmôsis pour repousser l’invasionFootnote 36. Retenons de cette double accusation que les éléments fondamentaux de la rhétorique anti-mercenaire remontent au moins au viie siècle av. n. è., si ce n’est avant : des récits assyriens de la campagne de Sennachérib contre Jérusalem en 701 av. n. è. racontent la façon dont les mercenaires du roi Ézéchias, à la vue de la terrifiante armée assyrienne, n’ont pas hésité à l’abandonnerFootnote 37.

La permanence de cette rhétorique cache la grande diversité des travailleurs de la guerre. Stephen Morillo a cherché à la saisir en esquissant une typologie générale des forces combattantes dans son étude comparative sur les soldats mercenaires au Moyen ÂgeFootnote 38. Bien qu’elle repose essentiellement sur une analyse de la guerre médiévale, sa typologie s’applique également à des époques et des cultures très différentes, y compris à la période antique. Elle s’appuie sur deux paramètres : l’ancrage social des combattants, et le rôle respectif des facteurs politiques et économiques dans leur motivation à s’enrôler. Le premier paramètre recoupe partiellement la dichotomie traditionnelle entre combattants locaux et étrangers. Plus précisément, S. Morillo évalue dans quelle mesure les obligations militaires que remplissent les combattants font partie de leur rôle social au sens large ou, pour reprendre son expression, sont interprétées « en termes de complexes reconnus de relations socialesFootnote 39 ». Le second paramètre mesure l’importance respective des facteurs politiques et économiques dans la définition des conditions de leur engagementFootnote 40.

L’analyse de S. Morillo permet de mettre d’emblée en évidence plusieurs points intéressants. Dans le monde méditerranéen antique comme au début du Moyen Âge, mais probablement plus au début de l’époque moderne, les travailleurs de la guerre pouvaient voir leurs conditions et leurs activités évoluer au point de s’installer de manière permanente dans le pays de leur employeur. Par exemple, des bandes de guerriers qui menaient des raids côtiers pouvaient par la suite devenir des combattants rémunérés au service de leurs anciennes victimes. Cela a peut-être été le cas des « hommes d’airain » grecs et cariens qui ont fini par être engagés par le pharaon Psammétique Ier (r. 664-610 av. n. è.), si l’on en croit le récit de leurs expéditions ; ce fut certainement le cas des bandes vikings qui pillaient les îles britanniques et que le roi du Wessex, Æthelred, engagea par exemple à plusieurs reprises entre la fin du xe siècle et le début du xie siècle, avec un succès mitigéFootnote 41. Cette transformation eut pour conséquence paradoxale de mettre les nouveaux mercenaires en situation d’avoir à combattre des groupes guerriers de même origine qu’eux. Il est évident que ce type d’arrangement, en particulier s’il impliquait l’octroi de terres, pouvait entraîner un déplacement assez radical de certains groupes de combattants le long de l’axe de l’inclusion sociale défini par S. Morillo dans son articleFootnote 42. Les célèbres inscriptions des Grecs de l’armée de Psammétique II à Abou Simbel, à propos desquelles je reviendrai plus loin, attestent l’existence de mercenaires de deuxième génération. Lorsqu’ils ont affronté l’armée de Cambyse II, de nombreux mercenaires grecs et cariens devaient être installés en Égypte depuis des générations. Devrions-nous pour autant cesser de les appeler « mercenaires » ?

L’approche de S. Morillo a le mérite, certes, de soulever un problème, mais elle ne propose pas vraiment de solution. Selon lui, les « vrais mercenaires » opèrent au sein d’un marché libre de la violence : « pour qu’un véritable mercenariat existe, il faut qu’il y ait non seulement une rémunération, mais aussi des options de marché non limitées par un nombre restreint d’employeurs potentiels ». On ne trouve donc de « vrais mercenaires » que lorsqu’aucun « facteur politique ou culturel ne restreint effectivement le choix des employeurs pour louer des soldats ». En d’autres termes, « un contexte d’économie de marché et d’organisation commerciale capitaliste ou proto-capitaliste est probablement une condition préalable à l’émergence d’un véritable marché du mercenariat »Footnote 43. S. Morillo n’est pas le seul à penser que l’existence de « vrais mercenaires » dépend de l’économie de marché. Une telle idée est toutefois paradoxale. La notion de « vrais mercenaires » s’accommode mal des preuves de la permanence de la rhétorique hostile souvent observée, notamment par S. Percy, et corroborée par les documents de la Méditerranée antique : la plupart des travailleurs de la guerre visés par cette rhétorique ne seraient pas considérés comme de « vrais mercenaires » si l’on s’en tient à la définition de S. Morillo.

En fin de compte, il semble que S. Morillo tombe dans le piège que son travail permet pourtant de déjouer. Quoi que l’on pense des mécanismes du marché, rien n’atteste qu’il a existé des contextes où les acteurs de la violence organisée déterminaient leurs allégeances uniquement en fonction des profits financiers escomptés. Pour prendre un cas extrême, Daech n’aurait jamais pu engager des mercenaires de l’entreprise américaine Blackwater et ce quelle que soit la somme d’argent que l’organisation aurait été prête à leur offrirFootnote 44. Les « vrais mercenaires » sont peut-être ceux qui se battent exclusivement pour gagner de l’argent, mais je doute qu’il existe un seul exemple dans l’histoire de « vrais mercenaires » ayant réellement choisi leur allégeance sur le seul critère de la maximisation des profits et sans faire entrer en jeu la moindre considération culturelle ou politique. Les « vrais mercenaires » de S. Morillo relèvent donc de l’abstraction sociologique ou de l’idéal-type wébérien. Dans la pratique, on observe l’existence d’un éventail de choix plus ou moins large. Les travailleurs de la guerre ou les groupes de travailleurs de la guerre peuvent être amenés, et le cas s’est souvent présenté dans l’histoire, à choisir entre les deux belligérants dans une guerre et, par conséquent, à combattre d’autres travailleurs de la guerre de même origine qu’eux, mais ayant fait un choix différent. Cependant, ces situations dépendent toujours d’un contexte politique spécifique et ne résultent jamais de considérations purement économiques.

Mis à part cet écueil, la taxonomie de S. Morillo s’avère utile pour catégoriser les raisons et les conditions qui poussent des individus à se lancer dans des activités relevant de la violence organisée – qu’elles soient ou non sanctionnées par l’État –, loin de leur communauté ou dans un contexte culturel étranger. Toutefois, cette taxonomie laisse entière la question de définition qui entoure le concept de mercenaire. Selon moi, S. Percy n’est pas loin d’avoir trouvé la meilleure façon de le caractériser : « mercenaire » ne doit pas être considéré comme un terme descriptif désignant un phénomène social précis, mais plutôt comme un ensemble de connotations, essentiellement péjoratives, qui s’appliquent à différentes catégories d’individus impliqués dans la violence organisée dans divers contextes et époques historiques. Au-delà de ces connotations, il appartient à l’historien et à l’historienne d’observer ou de reconstituer ces conditions d’emploi et leurs implications pour les recherches menéesFootnote 45.

Toutes les études de cas examinées ici concernent des travailleurs de la guerre au service d’un employeur « étranger », c’est-à-dire différent d’eux sur le plan culturel ou linguistique pourrait-on dire, tandis que les acteurs, eux, auraient très certainement envisagé cette différence en termes qui relèveraient aujourd’hui de l’ethnicité, au sens large. D’un certain point de vue, en général celui de leurs ennemis, ces travailleurs de la guerre pouvaient donc être exposés à l’opposition rhétorique entre étrangers et autochtones, ainsi qu’à tous les stéréotypes négatifs associés au concept de « mercenaire ». La surprenante plausibilité de ces stéréotypes, c’est-à-dire le fait que les acteurs historiques pouvaient les prendre au pied de la lettre, ne doit pas nous faire oublier que nous avons affaire à une construction rhétorique qui englobe et masque à la fois une diversité de contextes historiquesFootnote 46. Devrions-nous dès lors nous débarrasser complètement du terme « mercenaire » ? Réformer la langue est un objectif ambitieux, et notre but ici est bien plus modeste. Il s’agit simplement d’attirer l’attention sur ce qui est réellement en jeu lorsque chercheuses et chercheurs affirment que certains groupes de travailleurs de la guerre étaient, ou n’étaient pas, des mercenaires : nous utilisons un terme fortement connoté et dont le sens littéral est difficile à cerner. Nous pouvons procéder ainsi par souci de simplicité, mais seulement à condition d’être conscients de ce fait fondamental et de ses implications pour les arguments que nous construisons autour du terme.

Migrations militaires et transferts culturels

Les travailleurs de la guerre grecs et cariens au service des pharaons de la XXVIe dynastie (du milieu du viie siècle à la fin du vie siècle av. n. è.) forment la diaspora militaire la mieux connue de la Méditerranée archaïqueFootnote 47. Selon une source tardive – le recueil des Stratagèmes de Polyen, un contemporain de l’empereur Marc-Aurèle –, les Cariens étaient déjà présents en Égypte lors de l’accession au pouvoir du fondateur de la dynastie, Psammétique Ier, en 664 av. n. è., mais il est difficile de savoir si l’histoire du capitaine de mercenaires Pigrès, racontée par Polyen, s’appuie sur des éléments fiablesFootnote 48. Comme nous le verrons, les traces matérielles signalent cependant la présence de travailleurs de la guerre grecs et cariens en Égypte à partir du milieu du viie siècleFootnote 49.

Selon Hérodote, Grecs et Cariens menaient des expéditions dans le delta du Nil depuis un certain temps lorsque Psammétique décida finalement de les engagerFootnote 50. Plusieurs aspects de l’histoire, comme l’oracle ordonnant au pharaon de recruter les « hommes d’airain » – allusion à l’armure de l’infanterie lourde grecque et carienne – sont à l’évidence d’une historicité douteuse. Toutefois, la recherche actuelle tend à n’accorder aucun crédit à ce récit et à identifier les mercenaires grecs et cariens aux troupes que Gygès, le roi de Lydie, avait envoyées pour appuyer la révolte de Psammétique contre ses suzerains assyriens, un épisode relaté en détail sur le célèbre cylindre de Rassam du roi assyrien AssurbanipalFootnote 51. Très récemment, Hans van Wees a établi que la révolte de Psammétique avait probablement eu lieu autour de 645 av. n. è., peu de temps avant la mort de Gygès aux mains des Cimmériens. Si l’on suit ce scénario, l’intervention des soldats grecs et cariens serait celle d’un contingent allié.

Une telle interprétation est possible, mais certains points méritent d’être soulevés. Premièrement, piller le delta du Nil pour en tirer un butin semble avoir été tout à fait dans la lignée des activités que les bandes de guerriers grecs pouvaient envisager d’entreprendre à cette époque, du moins à en juger par l’Odyssée. Lorsqu’il rencontre le porcher Eumée, Ulysse s’invente une fausse biographie dans laquelle il se présente comme un Crétois, fils illégitime d’un homme riche qui ne s’intéresse ni à sa maison ni à sa famille, mais uniquement à la guerre, aux navires et aux armes. Il prétend qu’après son retour de Troie, il a organisé une expédition de pillage en Égypte, en équipant neuf navires et en faisant embarquer un grand nombre de guerriers. Après avoir festoyé pendant six jours, la flotte avait mis le cap vers le delta du Nil et les Crétois commencèrent à piller tout ce qui se trouvait à leur portée, jusqu’à ce qu’une grande armée d’Égyptiens, conduite par leur roi, se lançât à leur poursuite, massacrant une partie des guerriers et capturant les autres. Ulysse le faux Crétois prétend alors qu’il s’est jeté aux pieds du roi égyptien et a réussi à obtenir que sa vie soit épargnéeFootnote 52. Le fait même que l’histoire ait été inventée par Ulysse et sa tonalité clairement non héroïque suggèrent qu’il fallait qu’elle paraisse plausible. Après tout, les maraudeurs grecs étaient déjà connus des administrateurs locaux assyriens de la côte phénicienne dans la seconde moitié du viiie siècle av. n. è.Footnote 53.

Le deuxième point est qu’il n’existe aucune preuve que Gygès ait contrôlé la partie sud de l’Ionie et de la Carie. Milet a continué à lutter contre le deuxième successeur de Gygès, Sadyattès, longtemps après sa mort. Si Gygès a effectivement envoyé des soldats grecs et/ou cariens pour aider Psammétique, il a donc d’abord dû les recruter, d’une manière ou d’une autre, et l’on peut se demander à qui ces derniers rendaient compte une fois leur mission commencée. Quand bien même l’on privilégierait ce scénario pour expliquer l’origine du phénomène, les preuves matérielles et épigraphiques indiquent qu’après la première vague, un flux stable de combattants s’est constitué puis s’est maintenu malgré les fluctuations du pouvoir lydien en Asie Mineure. Après tout, le royaume de Gygès a été anéanti par les Cimmériens quelques années seulement après son intervention en faveur de Psammétique, à la grande satisfaction du roi assyrien, et n’était donc pas en mesure d’envoyer des renforts militaires à qui que ce soit. Tout bien considéré, il semble ainsi plus probable que les travailleurs de la guerre grecs et cariens aient pris le chemin de l’Égypte de leur propre initiative, sans avoir été réquisitionnés par le roi de Lydie.

De leur engagement au service de la XXVIe dynastie il reste un important corpus documentaire. Parmi les inscriptions en carien d’Égypte, un grand nombre de stèles funéraires retrouvées hors de leur contexte d’origine, principalement lors des fouilles de la nécropole de Saqqarah Nord, indiquent l’existence d’une nécropole carienne entre Saqqarah et AbousirFootnote 54. L’ensemble le plus connu des spécialistes de la Grèce est une série d’inscriptions sur les jambes des statues colossales de Ramsès II à Abou Simbel, qui atteste la participation de travailleurs de la guerre grecs, probablement aux côtés de soldats phéniciens, lors de l’expédition lancée en 593 av. n. è. par Psammétique II contre la NubieFootnote 55. La principale inscription grecque, en dialecte dorien, fournit un récit succinct des événements. Elle est accompagnée d’une inscription plus courte, gravée sur une autre jambe, et probablement lors d’une autre phase de l’expédition, ainsi que de plusieurs noms propres. Le fait qu’ils sachent lire et écrire laisse supposer que les auteurs des inscriptions étaient des cadres de l’armée de Psammétique plutôt que des soldats du rang. Certaines inscriptions mentionnent la polis d’origine, d’autres seulement le patronyme : on pourrait supposer qu’il s’agit pour les premières d’individus s’étant enrôlés récemment et pour les secondes d’enfants de travailleur de la guerre qui avaient eux-mêmes servi dans l’armée égyptienneFootnote 56.

Éloignés de leur patrie pendant de longues périodes, les Grecs et les Cariens servant en Égypte semblent souvent avoir adopté, à divers degrés, des identités hybrides et avoir assimilé certains éléments de la culture locale. Ce processus a peut-être été facilité par la pratique courante consistant à installer les mercenaires sur le territoire de leur employeur, à en faire les propriétaires ou les bénéficiaires de parcelles de terre et à les transformer en colons militaires, c’est-à-dire, selon la typologie de S. Morillo, à accroître considérablement leur degré d’inclusion sociale. L’adoption d’un nom égyptien, souvent mais pas toujours, en lien avec un mariage mixte, est un fréquent marqueur d’intégration. Parmi les Grecs dont les noms apparaissent sur le colosse d’Abou Simbel, par exemple, on trouve un certain Psammétique, fils de Théoklès. À la même époque, des inscriptions funéraires de Cariens de Saqqarah attestent leurs mariages avec des Égyptiennes, leurs fils portant des noms égyptiens.

Les sources archéologiques offrent des documents encore plus frappants, comme c’est le cas d’un sarcophage égyptien en pierre datant de la fin du viie siècle av. n. è., aujourd’hui conservé au Musée national des antiquités de Leyde, qui appartenait à un dignitaire de la XXVIe dynastie portant le nom typiquement égyptien de Wahibre-em-akhet. Quatre vases canopes en albâtre et plusieurs oushebtis (des statuettes symbolisant les serviteurs funéraires du défunt dans l’au-delà) appartenant au même homme ont également été retrouvésFootnote 57. Alexandra Villing a récemment rassemblé tous les éléments textuels et archéologiques concernant cette figure éminente, auxquels s’ajoute une série de bas-reliefs gravés conservés au British Museum. Si, comme cela est probable, les bas-reliefs proviennent de sa sépulture, cela signifierait que sa tombe était située dans la nécropole de SaqqarahFootnote 58. Ce Wahibre-em-akhet semble à première vue tout ce qu’il y a de plus égyptien. Cependant, les inscriptions hiéroglyphiques sur le sarcophage nous apprennent que son père et sa mère s’appelaient Arkeskares et Sentiti, dont on a établi depuis longtemps qu’il s’agit des versions égyptiennes des noms Alexikles et Zenodote. En d’autres termes, les parents de Wahibre-em-akhet portaient tous les deux des noms grecs. Le style du sarcophage et sa qualité nous indiquent que son occupant avait probablement des liens étroits avec la cour ou, à tout le moins, qu’il occupait un poste de dignitaire dans l’administration royale. Cela est confirmé par le titre de « porteur du sceau royal » figurant sur son vase canope. S’il désignait littéralement un fonctionnaire autorisé à expédier des dépêches avec le sceau royal, il s’agissait en fait d’un titre honorifique qui n’était pas associé à une fonction spécifique, mais marquait une proximité avec la cour et le fait que l’intéressé jouissait probablement d’une faveur royaleFootnote 59. Parmi les scénarios envisageables, l’hypothèse formulée par Günter Vittmann, selon laquelle Alexikles et son fils étaient des officiers de l’armée du pharaon, semble être la seule qui tienne vraiment la route. Quoi qu’il en soit, Wahibre-em-akhet avait intégré de nombreux aspects de la culture égyptienne, au point d’adopter non seulement les coutumes funéraires locales, mais aussi les notions égyptiennes de la mort et de l’au-delà, comme le montrent l’iconographie et surtout les inscriptions sur son sarcophage. Cette impression se voit renforcée par les inscriptions qu’A. Villing a reliées à sa sépulture, qui comprennent des extraits du Livre pour sortir au jour, également connu sous le nom de Livre des morts, un vaste recueil de formules funéraires destinées à garantir que l’âme du défunt puisse accéder à la vie après la mortFootnote 60. En bref, si les noms des parents de Wahibre-em-akhet ne nous étaient pas connus, nous n’aurions aucune raison de penser une quelconque origine étrangère.

L’exemple de Wahibre-em-akhet est certes rare, mais il n’est pas unique ; il existe au moins un autre cas identique, celui d’un officier supérieur de l’armée de Psammétique II, Wahibrenebquen, fils du général Psamtikʽauneit, dont la famille, documentée depuis au moins deux générations avant lui, était d’origine carienneFootnote 61. Ces personnalités éminentes peuvent être situées à l’une des extrémités d’un spectre allant du statut d’étranger à l’assimilation totale, en gardant à l’esprit que les documents ne nous donnent qu’une image partielle. Les pierres tombales de la nécropole de Saqqarah, datant également de la XXVIe dynastie, offrent diverses nuances intermédiaires le long de ce spectre. Plus de quarante stèles portant des inscriptions en carien ainsi qu’une vingtaine de fragments supplémentaires ont été retrouvés, réutilisés dans des contextes datant de la seconde moitié du ive siècle av. n. è., mais on ne sait rien de leur emplacement d’origine dans la nécropole. La grande majorité se compose des habituelles stèles fausse porte ; certaines sont de simples stèles arrondies sans autre décoration que leurs inscriptions. Du fait de la présence de plusieurs inscriptions bilingues, ce corpus a joué un rôle décisif dans le déchiffrement de l’alphabet carien.

Les stèles cariennes de Saqqarah semblent couvrir la majeure partie de la période durant laquelle des travailleurs de la guerre cariens furent présents en ÉgypteFootnote 62. Parmi celles qui datent de la fin du vii siècle av. n. è., un certain nombre portent des inscriptions bilingues en carien et en égyptien (hiéroglyphique). Certaines d’entre elles sont décorées dans un style purement égyptien, si bien que sans l’inscription en carien, il serait impossible de les distinguer des stèles funéraires égyptiennes courantes datant de la même période. Plus tard, probablement à partir du milieu du vie siècle, on trouve des stèles dont les inscriptions figurent uniquement en langue carienne, avec un décor en relief de facture essentiellement égyptienne par son iconographie, mais qui se rapproche en termes de style de la sculpture grecque orientale de l’époque. Les spécialistes considèrent par conséquent qu’elles sont l’œuvre d’artisans grecs orientaux ou cariens exerçant en Basse-ÉgypteFootnote 63. Comme dans le cas du sarcophage de Wahibre-em-akhet, l’iconographie de ces stèles fait référence à des notions égyptiennes très spécifiques de la mort et de l’au-delà, et semble suggérer que leurs propriétaires adhéraient à ces croyances, ce qui implique qu’ils avaient intégré dans une large mesure des idées religieuses égyptiennes. Cette source peut être mise en regard avec un corpus restreint mais significatif de dédicaces aux dieux égyptiens présentant des inscriptions en grec et en carien, tel que c’est le cas de trois statuettes en bronze du taureau Apis, l’une portant une inscription hiéroglyphique bilingue carienne-égyptienne, les deux autres étant inscrites en grec. Il est intéressant de noter que l’inscription carienne attribue la dédicace à un interprèteFootnote 64.

Il existe donc un entre-deux intéressant, documenté par ces monuments, entre l’assimilation de la culture locale et la préservation de l’identité ethnique d’origine. S’il est certain que le fait de continuer à utiliser la langue et l’alphabet cariens pour les inscriptions distinguait les propriétaires des stèles de leur milieu égyptien, l’utilisation des deux langues et surtout celle de l’iconographie religieuse égyptienne constituent des marqueurs évidents d’assimilation culturelle. Aussi maigres soient-elles, les traces documentaires pourraient suggérer une différence de comportement entre les Grecs et les Cariens à cet égard : il n’existe aucune inscription bilingue en grec et en hiéroglyphes égyptiens, et la seule stèle avec une inscription grecque de la nécropole de Saqqarah dont j’ai connaissance, portant le nom d’Exekestos, est un type de fausse porte inscrit uniquement en grec Footnote 65. Avant d’accorder trop d’importance à cet argument cependant, il convient de noter que les stèles fausses portes cariennes ne sont gravées qu’en carien. En outre, la fausse-porte est elle-même indissociable de la notion égyptienne de ka, l’esprit vital des morts qui est censé entrer et sortir de la tombe par la porte, grâce aux rituels appropriésFootnote 66. L’utilisation de cette forme pourrait donc en soi être considérée comme un signe de l’assimilation des conceptions égyptiennes de l’au-delà, bien qu’à une échelle sociale plus modeste que dans le cas de Wahibre-em-akhet.

Bien sûr, le fait (intéressant au demeurant) que les hommes de guerre servant à l’étranger pendant de longues périodes aient adopté certains aspects de la culture qui les entourait, y compris des traits fondamentaux tels que des conceptions de la mort et de l’au-delà, sans parler de la langue, ne signifie pas pour autant que leur identité hybride ait eu une incidence sur les développements culturels dans leur pays d’origine, où qu’il se trouve. C’est en partie pour cette raison que les chercheurs et chercheuses qui s’intéressent aux vecteurs de la culture orientalisante se sont principalement penchés sur les commerçants, artisans itinérants, prêtres et poètes, mais pas, jusqu’à récemment, sur les travailleurs de la guerreFootnote 67. Les commerçants, bien sûr, font des allers-retours entre des espaces culturels distincts. Mais il existe également des preuves, et pas seulement durant l’Antiquité, que les diasporas militaires pouvaient maintenir des contacts avec leur patrie malgré les très grandes distances qui les séparaient, et que ces contacts pouvaient avoir des conséquences tangibles sur leur culture d’origine. Un exemple puisé à l’histoire du Moyen Âge s’avère particulièrement éclairant à plusieurs égards.

De la fin du viiie siècle au xie siècle de notre ère, la Scandinavie a abrité une culture particulière, dont l’influence s’est étendu des îles britanniques jusqu’à la mer Noire et la Méditerranée ; les porteurs de cette culture sont connus sous le nom de VikingsFootnote 68. Pour qui étudie la Grèce archaïque, les Vikings évoquent inévitablement des images familières : des salles remplies de guerriers festoyant, soudés par la générosité de leurs chefs de guerre et captivés par les chants des scaldes célébrant, par leur poésie raffinée, les exploits héroïques des chefs – des guerriers toujours prêts à monter à bord de drakkars et à se lancer dans des expéditions de pillage et de saccage. Comment ne pas songer à l’univers d’Homère ? L’alter ego crétois d’Ulysse et ses compagnons imaginaires correspondent à bien des égards à une bande de guerriers vikings, et les analogies peuvent être poussées plus loin. Comme les Grecs de la période archaïque, les Vikings habitaient la périphérie d’un monde plus avancé et plus riche, en l’occurrence l’Angleterre post-romaine et surtout l’Europe occidentale carolingienne. Comme les Grecs, ils venaient de terres pauvres et s’organisaient selon des hiérarchies sociales relativement horizontales où, en termes wébériens, le charisme l’emportait clairement sur la tradition. Tout comme les Grecs, ils se livraient au commerce et à la piraterie, sans faire de distinction très nette entre les deux, et ils pouvaient parfois offrir leurs services comme travailleurs de la guerre, souvent à ceux qui auparavant avaient été leurs victimesFootnote 69. Enfin, ils étaient tout à fait prêts à s’installer à l’étranger. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner ailleurs les analogies entre les premiers Grecs et les Vikings, et cette comparaison a été approfondie par Juan Signes Codoñer et Liviu Mihail IancuFootnote 70. Ici, cependant, nous nous concentrerons sur une région particulière du monde viking, en examinant la manière dont ses guerriers sont arrivés en mer Noire et finalement à Byzance, créant une diaspora militaire dans la capitale de l’Empire byzantin.

Les Norsemen (« Normands » ou « hommes du Nord »), originaires pour la plupart de Suède, avaient voyagé vers le nord de la Russie et vers l’Ukraine à la recherche de fourrures et d’esclaves depuis au moins le ixe siècle. En suivant les vallées fluviales, d’abord de la Duna et de la Neva, puis, après le lac Ladoga, du Dnistro, ils atteignirent la mer NoireFootnote 71. À cette époque, ils avaient établi une chaîne de colonies le long du parcours et leur royaume était connu des peuples de la mer Noire sous le nom de Rus’, que les sources byzantines mentionnent comme une puissance mineure en marge du monde byzantin. Ils réussirent même à lancer une attaque surprise contre Byzance au cours de l’été 860, pillant les monastères sur leur passage, dans le pur style des raids vikings en Angleterre. Le patriarche Photios les mentionne dans deux homélies de cette année-là : les trouvant plutôt mystérieux – il les appelait les Scythes, avec cette habitude typiquement byzantine d’appliquer les noms ethniques des auteurs grecs classiques à la réalité de son époque –, il les décrivait comme cruels et primitifs, valant à peine plus que des bêtesFootnote 72. En l’espace d’un siècle cependant, les empereurs byzantins finirent par voir dans ces guerriers primitifs une aubaine. Basile II recruta des mercenaires, connus des auteurs grecs sous le nom de Varangoi, originaires de Russie et de Scandinavie, initialement pour la guerre civile qu’il menait contre le général Bardas Phokas. Avec le temps, ils formèrent une unité spéciale qui servait à la fois de garde du palais et de troupes d’élite lors des campagnes militaires. Dans les études récentes, on les appelle généralement la garde varangienne ou simplement les VarèguesFootnote 73.

La recherche ne s’est penchée que récemment sur le rôle des Varègues dans les contacts interculturels entre la Scandinavie et l’Empire byzantinFootnote 74. Il existe désormais un consensus sur le rôle interculturel prépondérant joué par les soldats scandinaves au service des empereurs byzantinsFootnote 75. Un faisceau impressionnant de preuves atteste le lien persistant entre les hommes de guerre scandinaves servant à l’étranger et leur pays d’origine. Plus de trente pierres runiques, retrouvées pour la plupart en Suède, commémorent des guerriers morts en Grèce, soit, pour reprendre les termes des vestiges, au service des empereurs byzantins. Il est intéressant de noter que la formule de bénédiction inscrite sur ces pierres reproduit une bénédiction grecque orthodoxe standard pour les mortsFootnote 76.

Compte tenu de la solidité de ces liens, il n’est guère surprenant que certains de ces militaires émigrés aient finalement décidé de rentrer chez eux, à l’image de Ragnvaldr Ingvarsson, un Varègue de haut rang commémoré par une pierre runique d’Ed en SuèdeFootnote 77. Certains retournaient au pays auréolé de prestige. Le héros de la saga islandaise la Saga de Laxdæla, Bolli Bollason, aurait servi dans la garde varangienne à Byzance au début du xie siècle. La description de Bolli chevauchant à la rencontre de sa mère à son retour en Islande en 1030 mérite d’être citée, tant elle peut sembler familière aux hellénistes :

Il était en habits de soie que le roi de Miklagardr lui avait donnés ; par-dessus, il portait un manteau d’écarlate. Il était ceint de l’épée Fótbitr dont les gardes étaient incrustées d’or et la poignée enveloppée d’un treillis d’or. Il avait sur la tête un heaume doré et un bouclier rouge au côté, sur lequel était peint, en or, un chevalierFootnote 78.

Parmi les Scandinaves ayant combattu au service des empereurs byzantins, le plus important et celui pour lequel subsiste la documentation la plus riche est Haraldr Sigurdsson (aussi connu sous le nom d’Haraldr Hardrada), qui se rend à Micklagardr, « la grande ville », comme Byzance était appelée en vieux norois, avec un détachement de 500 guerriers. Pendant près d’une décennie, au cours de laquelle il fut au service d’un empereur, creva les yeux d’un autre – selon la légende – et combattit en Asie Mineure, en Sicile et en Terre sainteFootnote 79, il amassa une richesse considérable. Il eut la bonne idée de faire garder sa fortune par Iaroslav le Grand à Kiev, fortune qui joua plus tard un rôle dans la carrière d’Haraldr Sigurdsson, qui devint roi de Norvège et mourut à la bataille de Stamford Bridge, en affrontant Harald Godwinson pour le trône d’Angleterre en septembre 1066. L’échec de son offensive ouvrit la voie à Guillaume le Conquérant qui battit Harald Godwinson à la bataille d’Hastings trois semaines plus tard. Si la cape violette offerte à Haraldr Sigurdsson par l’empereur devint célèbre en Scandinavie, celle-ci n’était pas la chose la plus importante qu’il rapporta de Byzance. La mise en place d’un monopole sur la frappe et la gestion de la monnaie du royaume, très inhabituelle à l’époque en dehors de l’Empire byzantin, et l’introduction de pièces dépréciées étaient clairement le résultat de son expérience en tant que Varègue, comme le confirme l’imitation de pièces byzantines dans les pièces qu’il fait frapperFootnote 80.

L’histoire des Varègues met en évidence la solidité remarquable des liens unissant les travailleurs de la guerre à leurs pays d’origine, dont ils se trouvaient parfois éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, mais aussi l’incidence que ces contacts pouvaient avoir sur les pays en question, notamment concernant certaines pratiques comme le travail des métaux précieux, l’architecture monumentale et la peinture murale, dont on ne pense pas à première vue qu’elles aient pu être influencées par l’action de cette classe d’individusFootnote 81. Les Varègues nous rappellent également que les militaires émigrés, indépendamment de l’image que l’on pouvait se faire d’eux, n’étaient pas tous des parias sans le sou : une minorité provenait des élites sociales de leur pays d’origine et pouvait se déplacer au gré des circonstances, en espérant améliorer son statut personnel ; d’autres étaient au service de ces guerriers de l’élite. Lorsqu’ils rentraient chez eux après avoir loué leurs services dans une contrée lointaine, ils revenaient inévitablement changés, transformés plus ou moins en profondeur par une longue et intense exposition à d’autres culturesFootnote 82.

La documentation concernant les Grecs en Égypte, certes beaucoup moins fournie que celle relative aux Varègues, suggère des phénomènes comparables. L’un des Grecs qui servaient les souverains de la XXVIe dynastie, Pédôn, fils d’Amphinnès, a laissé derrière lui une remarquable dédicace à un dieu non spécifié, très probablement Athéna. L’objet, dont la provenance n’est pas attestée mais qui serait issu de la ville ionienne de Priène, est une statue cubique égyptienne typique en basalte, en vogue sous la XXVIe dynastie. Datée du règne du premier pharaon de la dynastie, Psammétique Ier, en ce qui concerne son style, sa jupe porte une inscription donnant des détails biographiques sur le dédicant. S’il s’agit d’une pratique courante s’agissant des statues cubiques égyptiennesFootnote 83, ici l’inscription est en grec. Les épigraphistes grecs hésitent généralement à la dater d’avant le vie siècle av. n. è., mais leurs arguments se fondent parfois sur des a priori, étant donné le peu d’éléments de comparaisonFootnote 84. Le texte de l’inscription est le suivant : « Pédôn m’a consacré, le fils d’Amphinneos, lequel m’a apporté d’Égypte ; et c’est le roi égyptien Psammétique qui lui a donné comme prix de sa valeur un bracelet en or et une ville à cause de sa valeurFootnote 85. » Ne nous arrêtons pas à la mention un peu déroutante de la cité offerte, sauf si cela suggère que Pédôn était un officier assez haut gradé et que rentrer en Ionie, si c’est bien ce qu’il a fait, n’était pas la seule option qui s’offrait à luiFootnote 86. Il est particulièrement intéressant en revanche de regarder la manière dont Pédôn présente les récompenses extraordinaires qu’il a reçues du pharaon, tout en spécifiant que l’objet qu’il dédie vient d’Égypte. De toute évidence, Pédôn voulait que cette information n’échappe pas au lecteur ; l’inscription et la forme de l’objet se complètent pour rendre cette information explicite. En dédiant dans un sanctuaire grec un objet provenant d’Égypte, aisément reconnaissable et portant une inscription éliminant toute ambiguïté, Pédôn affirmait notamment son identité hybride.

Pédôn n’était bien sûr pas le seul mercenaire grec à revenir dans la mère patrie. Sa statue est simplement la mieux préservée d’un corpus plus large comprenant des objets de dates similaires provenant de Rhodes, Samos et MiletFootnote 87. La maigre documentation littéraire se fait aussi l’écho de ces retours. Quand son frère Antiménide revint après avoir combattu dans l’armée néo-babylonienne entre la fin du viie siècle et le début du vie siècle av. n. è., le poète Alcée lui adressa ces mots : « Tu es revenu du bout de la terre, la garde de ton épée est en ivoire serti en or. » Selon Alcée, Antiménide avait accompli un exploit en combattant en tant qu’« allié » aux côtés des Babyloniens, qu’il avait sauvés en tuant un guerrier mesurant cinq coudées royales, à une paume de main près, un géant de plus de deux mètresFootnote 88. Comme Pédôn, Alcée ne mentionne pas que son frère a en réalité été enrôlé comme travailleur de la guerre ; il évoque un « allié », un symmachos en grec. L’épée d’Antiménide rappelle Fótbitr, la fameuse lame ornementée que porte Bolli Bollanson lorsqu’il rentre de Byzance en Islande, ou le manteau violet offert par l’empereur à Haraldr Hardrada. Il s’agissait de symboles de richesse et de statut social exprimés dans une langue autre et exotique qui reflétaient le succès obtenu à l’étranger, mais laissaient également entendre que le héros appartenait désormais à une catégorie qui le distinguait de ses anciens pairsFootnote 89.

On peut se demander combien d’objets prestigieux syriens, assyriens et égyptiens consacrés dans les sanctuaires grecs pendant la période archaïque appartenaient à la même catégorie que l’épée d’Antiménide et la statue de Pédôn, ou même que l’épée de Bolli et le manteau d’Haraldr. Les pièces de harnachement de la cavalerie assyrienne de la fin du viiie et du début du viie siècle av. n. è. provenant du sanctuaire de la déesse Héra sur l’île de Samos, par exemple, pourraient très bien avoir été dédiées par des travailleurs de la guerre ayant appartenu à des unités d’élite. De fait, cette interprétation me semble la plus vraisemblable, car il est difficile d’imaginer se procurer autrement ces accessoires destinés à des chevaux de bataille et fabriqués dans les manufactures royales assyriennesFootnote 90. Il en va de même pour les têtes de masses d’armes en bronze provenant d’Assyrie ou du nord de la Syrie, également retrouvées dans l’Héraion de Samos : la masse d’armes figure comme un symbole standard de l’autorité militaire sur les bas-reliefs des palais royaux assyriens. Les hommes qui ont dédié ces objets les ont probablement acquis soit comme butin de guerre, soit, plus vraisemblablement, comme récompense et symbole de leur loyauté au service du souverainFootnote 91. Enfin, il faut mentionner un célèbre ensemble de pièces de harnachement équestre du nord de la Syrie qui ont été retrouvées disséminées en plusieurs endroits, notamment à Érétrie, Samos, Milet et Rhodes. Deux d’entre elles portent des inscriptions en araméen ; on peut donc les relier au butin pris par le roi Hazaël de Damas au royaume d’Unqi, dans ce qui devint plus tard la région d’Antioche sur l’Oronte. L’une de ces pièces a été trouvée dans un contexte archéologique datant de la fin du viiie siècle, ce qui suggère que ces objets ont quitté Damas lors du sac de la ville par Tiglath-Phalazar III en 732 av. n. è.Footnote 92.

Ces objets nous ramènent à une époque antérieure à celle des travailleurs de la guerre grecs et cariens en Égypte. Nous savons par ailleurs que les pirates grecs étaient présents sur la côte du Levant depuis la seconde moitié du viiie siècle av. n. è., lorsque le roi Sargon II se vantait dans ses inscriptions de les avoir capturés « comme des poissons dans la mer ». Les Grecs, que son successeur Sennachérib avait affrontés près de Tarse en Cilicie, au tout début du viie siècle, n’étaient probablement rien d’autre que des pirates, peut-être devenus des travailleurs de la guerre au service d’un potentat localFootnote 93. Dans la flotte avec laquelle Sennachérib descendit l’Euphrate puis traversa le golfe Persique pour attaquer les Chaldéens dans la basse vallée de l’Ulaï, les équipages des navires étaient constitués de Phéniciens et de Grecs. On trouvait également des travailleurs de la guerre dans plusieurs des armées qui cherchaient à contenir l’expansionnisme assyrien à cette époque. Stephanie Dalley a souligné la tradition du mercenariat de la Samarie et, selon la propagande assyrienne (à défaut d’autres sources), le roi Ézéchias de Juda avait enrôlé des mercenaires pour défendre Jérusalem, mais ceux-ci l’abandonnèrent à son sort dès que l’armée assyrienne fut en vueFootnote 94.

L’armée assyrienne elle-même finit par dépendre de plus en plus fortement des combattants étrangers. Il existe aujourd’hui un consensus parmi les assyriologues sur ce sujet, même si la position exacte des étrangers au sein de l’armée fait encore l’objet de débats et qu’il faut souvent tirer de sources arides les éléments attestant leur présenceFootnote 95. Pour la période antérieure, le seul cas évident semble être celui des Itu’éens et des Gurréens, probablement originaires de Basse Mésopotamie, qui formaient une sorte de légion étrangère, généralement, mais pas exclusivement, sous les ordres des gouverneurs provinciaux assyriens. Comme nous l’avons vu plus haut, la présence de travailleurs de la guerre étrangers dans l’armée assyrienne a parfois été niée sous l’effet conjugué d’un cloisonnement terminologique et d’un crédit excessif accordé à la rhétorique des documents royaux assyriens. Dans la pratique, les rois assyriens semblent avoir enrôlé une grande partie des élites militaires des royaumes conquis. Ces élites étaient transférées dans les capitales impériales et récompensées par des terres ou des salaires en nature. Les travailleurs de la guerre pouvaient être profondément intégrés à la machine impériale tout en conservant une identité ethnique affirmée. Les imaginer soumis à une discipline coercitive qui les privait de toute liberté de mouvement revient à confondre la rhétorique impériale et la réalité sociale.

L’influence des travailleurs de la guerre rentrant dans leur pays d’origine sur les pratiques culturelles locales, bien que peu étudiée, est un phénomène connu dans divers contextes historiques. On peut ici penser, une fois encore, aux conséquences culturelles du retour des Varègues dans leur pays d’origine. Longtemps négligé, le transfert culturel engendré par ces hommes de guerre a finalement été mis en lumière grâce aux travaux récents de Roland Scheel. Sa liste d’objets de prestige provenant de Byzance et trouvés en Scandinavie comprend « des ivoires, de la soie, du verre, de la poterie, des pièces de monnaie, des croix pectorales et, plus significatives encore, des adaptations locales de ces deux derniers objets au xie siècle ». R. Scheel poursuit : « Plus tard, les peintures murales des églises danoises […] montrent l’influence étonnante du style et de l’iconographie byzantins, et ne peuvent être directement reliées à aucun intermédiaire rus’ ou européen occidental ayant survécu »Footnote 96.

Les preuves rassemblées par R. Scheel ont longtemps posé problème aux chercheurs et chercheuses en raison de leur diversité : outre les multiples langues que tout spécialiste de l’Empire byzantin doit maîtriser, une grande partie des preuves relatives à l’histoire des Varègues provient des sagas nordiques postérieures, dans lesquelles sont souvent intégrés des fragments de poèmes scaldiques beaucoup plus anciens et dont l’interprétation nécessite des connaissances linguistiques et textuelles spécifiques. Ce type de sources offre une utile mise en garde pour qui étudie les interactions entre les Grecs et leurs voisins orientaux. Jusque-là, chercheurs et chercheuses ont souvent défendu une interprétation minimaliste de ces contacts, au motif que les références aux principales réalités politiques des mondes anatolien, mésopotamien et levantin présentes dans les sources littéraires grecques sont vagues et imprécises. Pourtant, les échanges beaucoup mieux documentés entre Byzance et la Scandinavie ont laissé dans les sagas nordiques des souvenirs du monde politique de Miklagardr qui sont tout aussi vagues et fabuleux et, s’ils peuvent sembler plus abondants, c’est simplement que la documentation est incomparablement plus fournie. Quoi qu’il en soit, avancer des arguments négatifs à partir de la rareté de la documentation, dans un contexte tel que la Méditerranée à l’âge du fer, est pour le moins contestable. L’exemple des Varègues montre que la logique de tels arguments est de l’ordre du pseudo-bon sens, l’un des pièges les plus insidieux pour les historiens et les historiennes, quelle que soit l’époque étudiée.

Le rôle des travailleurs de la guerre de la Grèce archaïque n’a pas connu de réévaluation comparable à celle dont a fait l’objet celui de leurs homologues scandinavesFootnote 97. Depuis que W. Burkert a formulé le concept de révolution orientalisante pour décrire les multiples développements de la culture archaïque primitive provoqués par l’intensification des interactions avec le Proche-Orient et l’Égypte, la recherche s’est beaucoup plus intéressée à la question des médiateurs culturels. Bien que les travailleurs de la guerre aient jusqu’à présent reçu peu d’attention, les nouveaux goûts et le pouvoir d’achat des chefs guerriers itinérants semblent désormais constituer un angle prometteur pour repenser la manière dont la poésie héroïque grecque a absorbé l’influence considérable de la littérature proche-orientaleFootnote 98.

Sur un terrain plus solide, la documentation relative aux Grecs et aux Cariens dans l’Égypte de la XXVIe dynastie, comme nous l’avons vu, montre des niveaux frappants d’assimilation de la culture locale et d’hybridité culturelle. Cela est particulièrement remarquable étant donné l’absence de documents comparables provenant de la grande colonie marchande de Naucratis, dans le delta du Nil, peuplée de commerçants grecs à la même époque. La présence de milliers d’hommes de guerre grecs en Égypte à partir du milieu du viie siècle pourrait facilement être liée à l’apparition de nouveaux types d’artefacts coûteux en Grèce même, à l’instar des kouroï, manifestement inspirés de statues égyptiennesFootnote 99. En réfléchissant à la genèse de ce nouvel objet culturel, nous nous sommes peut-être trop concentrés sur les compétences des artisans et pas assez sur les goûts des clients. À un autre niveau, nous pouvons également nous demander dans quelle mesure les réflexions d’Hérodote sur les religions grecque et égyptienne découlent de l’expérience historique des hommes de guerre. Après tout, les officiers, du moins ceux de haut rang, étaient beaucoup plus proches de l’élite intellectuelle égyptienne que n’importe quel commerçant de NaucratisFootnote 100. W. Burkert lui-même voit dans l’émergence de nouvelles conceptions de l’au-delà et de l’immortalité de l’âme dans la culture grecque archaïque tardive les effets de l’influence des idées religieuses égyptiennes. Pour que cette influence soit possible, il fallait que certains Grecs connaissent les notions égyptiennes de l’au-delà – je ne peux ici m’empêcher de penser à la stèle fausse porte d’Exekestos de Saqqarah et au sarcophage de Wahibre-em-akhet.

Ethnogenèse à l’ombre des empires

La tendance des armées multiethniques, en particulier impériales, à organiser leurs contingents selon des clivages ethniques, est extrêmement répandue. D’innombrables cas, dont certains déjà abordés dans cette étude, montrent que les hommes de guerre étrangers forment généralement des unités ethniquement homogènes. Les Grecs et les Cariens qui ont servi dans les armées de la XXVIe dynastie ont très probablement suivi ce même schéma, tout comme les Juifs d’Éléphantine, vraisemblablement recrutés et stationnés dans l’île sous Psammétique IerFootnote 101.

Il est évident que des besoins pratiques fondamentaux, tels que la nécessité de se comprendre dans les situations dangereuses et d’être capable de combattre de manière organisée et cohérente, expliquent dans une certaine mesure la tendance des armées multiethniques à se diviser selon des lignes ethniques. En outre, les études sur l’ethnicité ont largement démontré sa nature contextuelle et construiteFootnote 102, et il n’y a aucune raison de supposer que, dans un contexte militaire, la grande fluidité des appartenances ethniques ne s’appliquerait pas. En fait, les chercheurs et chercheuses qui abordent la question sous un angle strictement empirique sont précisément parvenus à cette conclusion. Dans une tentative de comprendre le phénomène de l’ethnicité des hommes de guerre au Moyen Âge, Kelly DeVries évoque le cas des Huns :

Est-il certain que tous les Huns servant dans des armées non hunniques à la fin de l’Empire romain étaient des Huns ? Ou bien, est-il possible que ce terme soit simplement devenu le terme générique pour désigner les mercenaires dans l’Empire romain tardif, puisqu’aucun autre terme n’est utilisé par les auteurs de l’époque pour désigner ce type de prestation militaire ? Un mercenaire hun coûtait naturellement plus cher, alors pourquoi des mercenaires non huns se seraient-ils offusqués qu’on les prenne pour des Huns ou auraient-ils songé à suggérer qu’ils n’étaient pas Huns ? Bien sûr, il n’y a aucun moyen de répondre à ces questions compte tenu des sources disponibles. Mais cela introduit un schéma qui se répète tout au long du Moyen Âge : des groupes de mercenaires regroupés sous une étiquette générique « étrangère », alors qu’ils n’étaient pas tous issus de la même origine ethniqueFootnote 103.

K. DeVries poursuit en fournissant une impressionnante série d’exemples, évoquant notamment les prétendus Vikings de la garde varangienne de Byzance, dont beaucoup, à partir de la seconde moitié du xie siècle, étaient en réalité des Saxons qui avaient quitté l’Angleterre après la bataille d’Hastings, sans parler des Slaves, également présents dans leurs rangsFootnote 104. Des observations similaires ont été formulées par Dirk H. A. Kolff dans son ouvrage sur l’ethnohistoire du travail militaire dans l’Inde du xvie siècle :

Les Afghans et les Rajputs n’étaient pas vraiment des groupes ethniques exclusifs, ni même distincts. […] Parmi les tribus indiennes, le titre de Pathan, c’est-à-dire Afghan, est attribué « à tout membre de la caste militaire indienne qui se convertit à l’islam ». […] C’est peut-être une hérésie, mais je suggère que, selon les usages du marché du travail militaire du nord de l’Inde, avant la période moghole, les termes « Afghan » et « Rajput » désignaient l’identité des soldats et non pas leur dénomination ethnique ou généalogique. C’est simplement pour enregistrer leur appartenance au groupe de soldats qu’ils avaient décidé de rejoindre que, jusqu’à une époque assez tardive, les soldats indiens étaient connus sous ces nomsFootnote 105.

Que la même chose se soit produite dans l’Antiquité, et parfois pour des raisons similaires à celles qu’évoque K. DeVries, est plus qu’une simple hypothèse. L’unité militaire formée par les Juifs d’Éléphantine semble avoir inclus quelques Araméens, tout comme les Araméens de Syène, une autre unité ethnique supposée, comptaient également quelques Juifs dans leurs rangsFootnote 106. En remontant un peu le temps, on peut se demander comment tous les Itu’éens enrôlés dans les armées néo-assyriennes pouvaient venir de la tribu araméenne du même nom, étant semble-t-il trop nombreux pour cela, à l’image de ce que K. DeVries observe à propos des HunsFootnote 107.

Ces études de cas antérieurs à la période contemporaine ont en commun de refléter ce que l’on pourrait appeler une stratégie ascendante en ce sens qu’elles mettent toutes en évidence une manipulation des catégories ethniques par des travailleurs de la guerre individuels. L’étude des armées des empires des xixe et xxe siècles fournit des exemples du phénomène inverse, à savoir la manipulation des identités ethniques par et dans l’intérêt des structures du pouvoir impérial. Dans une enquête passionnante sur ce qu’elle appelle les « soldats ethniques », Cynthia H. Enloe montre comment les armées des États ont tendance à produire et à entretenir la construction rhétorique de « races martiales », c’est-à-dire des groupes ethniques supposés homogènes qui se distingueraient par leur bravoure, leur loyauté et leur endurance. Il s’agit là d’une vision idéalisée de tout ce qu’un empire peut attendre de ses soldats, car le but de cette construction est précisément de créer une charte d’identité à laquelle certains groupes marginaux sont susceptibles d’adhérer, tout en renforçant le recrutement grâce à la mobilisation des structures d’autorité locales qui deviennent ainsi des instruments consentants de la domination impérialeFootnote 108. La principale étude de cas de C. H. Enloe porte sur les célèbres Gurkhas, qui sont aujourd’hui encore recrutés au sein de l’armée britannique depuis le Népal. Elle montre que leur identité collective est directement le résultat de leur rôle dans l’armée britannique, où ils ont remplacé une précédente « race martiale », les Rajputs, à la suite de la révolte des Cipayes de 1857. En réalité, les « Gurkhas » ne correspondent à aucun groupe ethnique existant au NépalFootnote 109. Lionel Caplan a montré comment la légende de la martialité et de la masculinité qui leur était attachée était une création d’observateurs britanniques, pour la plupart eux-mêmes des militaires, qui imaginaient les Gurkhas comme des « gentlemen guerriers », une sorte d’alter ego de l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmesFootnote 110.

Les historiens et historiennes de l’Antiquité n’ont pas la documentation pour produire des études semblables à celles portant sur les races martiales des xixe et xxe siècles. Cela ne signifie toutefois pas nécessairement que le phénomène lui-même n’ait pas eu de parallèles ou de précédents comparables au cours de la période antique. S’inspirant de C. H. Enloe, Carol van Driel-Murray a fait valoir que l’émergence d’un groupe ethnique appelé les Bataves dans la région du Bas-Rhin pendant le Siècle d’Auguste était très probablement le résultat d’une manipulation de la situation par l’administration provinciale romaine sur le terrain, qui avait créé une « race martiale » de toutes pièces dont l’armée se servait pour stimuler le recrutementFootnote 111. À ma connaissance, d’autres études de cas portant sur des périodes plus anciennes n’ont pas encore été examinées sous cet angle, bien que la question de la perception des travailleurs de la guerre grecs, en particulier au ive siècle av. n. è., constitue un sujet prometteur. Pour le moment, je propose donc de considérer le système ascendant d’affiliation ethnique et le système descendant de désignation ethnique comme les deux extrémités d’un spectre illustrant le rôle de l’ethnicité au sein des armées multiethniques.

Ces paramètres à l’esprit, je voudrais revenir en conclusion sur l’identité collective des travailleurs de la guerre grecs dans l’Égypte de la XXVIe dynastie. Les Égyptiens semblent les avoir appelés Haunebut (ou Haou Nebout), un mot dont l’étymologie est incertaine et l’origine très ancienne, dont on trouve déjà des occurrences à l’âge du bronze, peut-être même pour désigner à cette époque les personnes venant de la région égéenneFootnote 112. L’unité plus large dans laquelle ils se trouvaient était apparemment connue des Égyptiens comme celle des « étrangers », que les Grecs traduisaient par le terme d’alloglо̄ssoi Footnote 113. Mais comment se désignaient-ils eux-mêmes ? Hérodote parle des « Ioniens »Footnote 114. Si l’on se réfère à la signification de ce terme à l’époque classique, cela semble un peu étrange. Parmi les travailleurs de la guerre répertoriés à Abou Simbel, on compte au moins deux Rhodiens, et l’inscription principale qui leur rend hommage est rédigée en dialecte dorien. Si le nom collectif utilisé par ces groupes était réellement « les Ioniens », il devait avoir une signification très différente de celle qu’il avait acquise au ve siècle av. n. è.Footnote 115.

Plutôt que de remonter dans le temps à partir des périodes ultérieures, en considérant comme acquis que « Ioniens » était un terme ethnique aux contours clairement délimités englobant les Grecs d’Asie Mineure qui parlaient des dialectes ioniens, nous pouvons aborder le problème dans la perspective des époques antérieures, en gardant à l’esprit les dynamiques impériales et ethniques esquissées ci-dessusFootnote 116. Le nom Iavones apparaît déjà dans deux documents fragmentaires en linéaire B provenant de Cnossos (Crète), qui semblent être des listes de contingents militaires, possiblement indiqués par un ethnonymeFootnote 117. À l’âge du fer, le terme apparaissait pour la première fois dans des documents non grecs, à savoir dans la correspondance officielle de l’administration provinciale du roi assyrien Tiglath-Phalazar III, probablement vers 730 av. n. è., puis dans les inscriptions royales de son successeur Sargon II. Dans les deux cas, il désigne des pillards venus de la mer pour attaquer les zones côtières sous contrôle assyrien et légitimement vaincus par le roi assyrienFootnote 118. À cette époque, le nom avait pris la forme de Yawan, qui demeura le nom donné aux Grecs au Proche-Orient. Sous le règne du roi suivant, Sennachérib, ces pillards avaient été intégrés comme marins dans la marine royale assyrienneFootnote 119.

Si nous oublions un instant ce que nous croyons savoir du terme « Ioniens », il existe une façon très simple d’expliquer, au moins en termes généraux, comment ce nom qui s’appliquait aux anciens ennemis des Assyriens en est venu à désigner la diaspora militaire grecque en Égypte. Du point de vue assyrien, le nom Yawan ne pouvait pas avoir une signification beaucoup plus précise que « pillards venus de l’ouest par la mer », et il est clair qu’une réputation menaçante lui était attachée. Quelle que soit l’origine exacte des Grecs qui pillaient le delta du Nil quelques décennies plus tard, le terme « Ioniens » avait un sens à la fois pour eux et, probablement, pour leurs interlocuteurs. Le pharaon avait besoin de troupes, et si « Ioniens » était effectivement le nom donné à des bandes de pillards qui inspiraient la crainte, cela garantissait leur efficacité. Pour les Grecs, indépendamment du nom dont ils s’affublaient en mer Égée, assumer l’identité de « Ioniens » pouvait être un moyen de revendiquer des talents militaires, une manière de se mettre en avant en quelque sorteFootnote 120. Si tel était le cas, à ce stade, le terme « Ioniens » aurait pu signifier quelque chose comme « bandes de guerriers du nord-ouest ayant une propension au pillage, connues pour s’enrôler comme travailleurs de la guerre dans le cadre de différentes relations contractuelles avec des systèmes politiques plus riches et mieux organisés, généralement des royaumes ».

Cette hypothèse, même nuancée, a des implications intéressantes sur la compréhension de ce terme ethnique en Grèce même. Le seul autre cas où le terme « Ioniens » est utilisé pour désigner des Grecs parlant des dialectes appartenant à différentes familles, notamment le dorien et l’éolien, se trouve dans le récit qu’Hérodote fait de ce que l’on appelle encore aujourd’hui « la révolte ionienne », c’est-à-dire la révolte des cités grecques d’Asie Mineure et des îles côtières contre l’Empire perse en 499 av. n. è. Les hellénistes se sont souvent interrogés sur l’utilisation par Hérodote du terme « Ioniens » pour désigner les rebellesFootnote 121. Si l’on examine la composition des mercenaires « ioniens » de Psammétique II qui ont laissé leur trace à Abou Simbel, on trouve une sélection représentative des poleis ayant animé la révolte : Colophon, Téos, Ialysos. Nous pourrions envisager l’idée que l’identité ionienne des rebelles ait pu être une réminiscence d’un passé proche, où le nom « Ioniens » imposait le respect dans le monde pré-achéménide de la Méditerranée orientale. Quoi que l’on pense de cette conclusion, il est légitime de considérer qu’à l’époque archaïque, l’identité ionienne a pu naître, ou tout du moins se transformer, non pas dans la région que nous désignons habituellement sous le nom d’Ionie, mais à la périphérie du monde grec, dans cette zone frontalière conflictuelle et violente où les Grecs et leurs voisins orientaux se faisaient face.

Entre le viiie et le vie siècle av. n. è., la Méditerranée orientale fut le lieu de mouvements de population liés à une grande variété de motifs. Le pillage et la guerre ont joué un rôle important, plus que les spécialistes n’ont pu le reconnaître, en particulier dans les déplacements à large rayon qui ont mis en contact des cultures éloignées les unes des autres. Ce type particulier d’interactions humaines peu reluisantes était cependant susceptible d’avoir un effet sur tous les acteurs impliqués et ce à plusieurs niveaux, y compris sur le plan culturel. Au cours de l’histoire, les groupes mobiles de travailleurs de la guerre ont démontré leur capacité à s’installer et à s’intégrer tout en préservant une identité propre et en maintenant des contacts avec leur patrie d’origine. Invisibles la plupart du temps, ces entrepreneurs de la violence n’attirent que rarement l’attention des historiens, historiennes et archéologues. Ils peuvent d’ailleurs être difficiles à identifier, en partie à cause de la rhétorique négative associée à leurs activités, présente dans les premières sources qui les mentionnent. Évoluant souvent aux échelons supérieurs des hiérarchies locales qu’ils rencontraient, ils étaient idéalement placés pour servir d’interface entre leur culture d’origine et leur culture d’adoption. Des études historiques comparatives montrent que ces groupes pouvaient jouer un rôle culturel notable. Leurs interactions avec les systèmes militaires dans lesquels ils étaient intégrés façonnaient bien souvent leur sentiment d’appartenance collective, avec des répercussions jusque dans leur terre d’origine.

Cette tentative de reconstruction du rôle des mercenaires grecs dans la « révolution orientalisante » se trouve étayée, bien que non démontrée, par des parallèles historiques allant des bandes vikings du xe siècle aux Gurkhas du xxe siècle. Dans tous ces cas, le contact culturel et la formation de l’identité apparaissent comme des conséquences indirectes des dynamiques sociales et politiques que cet article a cherché à identifier. Aucun Grec ne s’est enrôlé dans l’armée du pharaon pour découvrir le ka et l’immortalité de l’âme, ni dans aucune autre armée du Proche-Orient pour entendre le Chant d’Ullikummi ou autres poèmes sémitiques orientaux anciens, et encore moins pour rapporter la connaissance de ces artefacts culturels à ses compatriotes. Et pourtant, selon moi, c’est bien ce qui s’est produit, de façon attestée dans certains cas, et de façon plus générale si l’on juge convaincants les arguments que j’ai développés dans ces pages.

Footnotes

*

J’ai présenté une version très provisoire de cet article en novembre 2014 à l’université du Texas à Austin ; je remercie Critina Carusi et Alex Walthall pour leur chaleureuse invitation, ainsi que le public qui a formulé une première série de remarques. Après une autre présentation lors de ma leçon inaugurale pour la chaire Wykeham d’histoire ancienne de l’université d’Oxford, fin 2019, le contenu de cette étude a été présenté en mai 2023 à l’occasion de trois conférences organisées par l’École des hautes études en sciences sociales au centre ANHIMA. Je remercie Cecilia D’Ercole de son hospitalité et le public parisien grâce auquel j’ai pu disposer d’une deuxième série de remarques. Enfin, je me dois également de remercier les évaluateurs et évaluatrices des Annales pour leurs commentaires, ainsi que la rédaction des Annales pour le soin apporté à mon article.

References

1. Voir le bref panorama fourni par Robert H. Knapp, « Greek Coinage, Mercenaries, and Ideology », Eulimene, 3, 2002, p. 183-196, ici p. 184-191.

2. Ézéchiel 27.

3. Mario Liverani, « The Trade Network of Tyre According to Ezek. 27 », in M. Cogan et I. Ephʿal (dir.), Ah, Assyria…: Studies in Assyrian History and Ancient Near Eastern Historiography Presented to Hayim Tadmor, Jérusalem, The Magnes Press, 1991, p. 65-79.

4. Nino Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors: The Proto-History of Greek Mercenary Soldiers in the Eastern Mediterranean », Phoenix, 60-1/2, 2006, p. 21-47, ici p. 31-34. Comme le suggère le titre de cet article, je n’étais pas aussi conscient, en 2006, des pièges de la terminologie que je le suis aujourd’hui. Le choix du terme « travailleur de la guerre » sera discuté ci-après.

5. Walter Burkert, The Orientalizing Revolution: Near Eastern Influence on Greek Culture in the Early Archaic Age, trad. par M. E. Pinder, Cambridge, Harvard University Press, 1992.

6. Ces deux axes ont été esquissés dans N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit.

7. Pour un aperçu de la complexité méthodologique du comparatisme en histoire, voir Heinz-Gerhard Haupt, « Comparative History – A Contested Method », Historisk Tidskrift, 127-4, 2007, p. 697-714, et notamment son entrée en matière p. 697 : « Tous les historiens comparent. » Souvent, cependant, la comparaison reste implicite et guidée par le « bon sens », un processus qui tend à produire des distorsions (la fameuse conjecture du genre « si j’étais un cheval » d’Edward E. Evans Pritchard). Les sciences sociales, depuis Max Weber, ont traditionnellement été enclines à comparer différents contextes historiques et se sont montrées plus conscientes de l’importance de rendre explicites les termes de la comparaison. Ma façon de voir les choses est plus proche de la sociologie de Weber, au sens où j’essaie d’identifier les structures des interactions entre différents groupes culturels et d’indiquer, à l’aide d’exemples historiques, leur logique et leurs conséquences possibles.

8. Si je peux me permettre une plaisanterie à propos du titre d’un ouvrage que j’affectionne particulièrement – Marcel Detienne, Comparer l’incomparable, Paris, Éd. du Seuil, 2000 –, mon objectif est ici de comparer le comparable. Mon scepticisme quant au prétendu exceptionnalisme grec revendiqué par les hellénistes doit beaucoup à l’esprit qui parcourt ce livre.

9. Alexander Spencer, Romantic Narratives in International Politics: Pirates, Rebels and Mercenaries, Manchester, Manchester University Press, 2016, p. 125-130. Martin Luther peut également être ajouté à la liste : voir Benjamin Hitz, Kämpfen um Sold. Eine Alltags- und Sozialgeschichte schweizerischer Söldner in der Frühen Neuzeit, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2015, p. 311, n. 44.

10. Hérodote III, 11. Sur cet épisode énigmatique, voir Liviu Mihail Iancu, « Hdt. 3.11 – Punishment, Human Sacrifice, Oath, Symposion? Ritual and Group Cohesion », Revista CICSA, 1, 2015, p. 28-40.

11. Voir William Caferro, John Hawkwood: An English Mercenary in Fourteenth-Century Italy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006, p. 188-190 ; les activités des mercenaires au Congo sont abordées en détail dans Anthony Mockler, Histoire des mercenaires, Paris, Stock, 1969.

12. Pétrarque, Canzoniere CXXVIII, 65-67 : « Italia mia, benché il parlar sia indarno. »

13. Sur Machiavel et les mercenaires, voir A. Spencer, Romantic Narratives…, op. cit., p. 127-128. On trouve chez les auteurs grecs des remarques similaires au sujet de la loyauté conditionnelle des travailleurs de la guerre étrangers (voir les références à la note 28 ci-dessous).

14. Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, art. 47, https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201125/volume-1125-I-17512-French.pdf, p. 294.

15. Voir Sarah Percy, Mercenaries: The History of a Norm in International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 167-170, et A. Spencer, Romantic Narratives…, op. cit., p. 130-135, avec des références aux documents pertinents. Pour une tentative de tirer de ce document une définition du mercenariat applicable à l’Antiquité grecque, voir Matthew Trundle, Greek Mercenaries: From the Late Archaic Period to Alexander, Londres/New York, Routledge, 2004, p. 21-24.

16. D’où la suggestion de limiter l’emploi du terme « mercenaire » au monde des États-nations contemporains, comme dans Malte Riemann, « ‘As Old as War Itself’? Historicizing the Universal Mercenary », Journal of Global Security Studies, 6-1, 2021, p. 1-16. Cependant, cette suggestion semble sous-estimer la diversité du phénomène, même dans l’histoire récente.

17. N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit., p. 21-25. Pour une réfutation, plus développée encore, de la conception aristocratique des mercenaires grecs archaïques, voir Liviu Mihail Iancu, « Greek and Other Aegean Mercenaries in the Archaic Age: Aristocrats, Common People, or Both? », Studia hercynia, 20-2, 2016, p. 9-29.

18. Voir, par exemple, Anders Winroth, The Age of the Vikings, Princeton, Princeton University Press, 2014, p. 136 : « [Les guerriers vikings] n’étaient pas de simples mercenaires combattant pour un salaire ; c’étaient des guerriers indépendants et fiers qui se battaient aux côtés de ceux auxquels ils étaient liés par des relations d’amitié honorables. S’ils acceptaient un don de leur chef, ils savaient que cela signifiait qu’ils devaient leur loyauté et leur prouesse au combat en guise de contre don. » Pour le discours sur l’honneur militaire, dans le cas des travailleurs de la guerre du début de l’époque moderne, voir Reinhard Baumann, Landsknechte. Ihre Geschichte und Kultur vom späten Mittelalter bis zum Dreißigjährigen Krieg, Munich, Beck, 1994, p. 117-120 ; Arnold Esch, Mercenari, mercanti e pellegrini. Viaggi transalpini nella prima Età moderna, trad. par A. Michler, Bellinzona, Edizioni Casagrande, 2005 ; B. Hitz, Kämpfen um Sold, op. cit., p. 308-314.

19. Pour une étude rigoureuse et récente, voir Frederick Mario Fales, Guerre et paix en Assyrie. Religion et impérialisme, Paris, Éd. du Cerf, 2010, p. 104-145.

20. Sur cette formule, voir Mario Liverani, Assiria. La preistoria dell’imperialismo, Rome, Laterza, 2017, p. 203-208. Sur les déportations de masse de soldats par les rois néo-assyriens, voir Bustenay Oded, Mass Deportations and Deportees in the Neo-Assyrian Empire, Wiesbaden, Reichert, 1979, p. 48-54. Pour une étude de cas intéressante sur l’intégration dans l’armée assyrienne des unités d’élite des royaumes vaincus, voir Stephanie Dalley, « Foreign Chariotry and Cavalry in the Armies of Tiglath-Pileser III and Sargon II », Iraq, 47, 1985, p. 31-48.

21. Voir Davide Nadali, « The Representation of Foreign Soldiers and their Employment in the Assyrian Army », in W. H. van Soldt (dir.), Ethnicity in Ancient Mesopotamia, Leyde, Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten, 2005, p. 222-244 ; Tamás Dezsö, « The Reconstruction of the Neo-Assyrian Army: As Depicted on the Assyrian Palace Reliefs, 745-612 BC », Acta Archaeologica Academiae Scientiarum Hungaricae, 57-1, 2006, p. 87-130. À propos de la prudence dont il convient de faire preuve en interprétant ces bas-reliefs, voir Andreas Fuchs, « Assyria at War: Strategy and Conduct », in K. Radner et E. Robson (dir.), The Oxford Handbook of Cuneiform Culture, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 380-401, ici p. 385. Pour une étude récente sur les non-Assyriens dans les armées assyriennes de la fin du viiie siècle à la première moitié du viie siècle av. n. è., voir F. M. Fales, Guerre et paix en Assyrie, op. cit., p. 145-151.

22. J. Nicholas Postgate, « The Assyrian Army in Zamua », Iraq, 62, 2000, p 89-108, ici p. 100-101, en référence aux Itu’éens et aux Gurréens ; ces mêmes Gurréens sont appelés « mercenaires » sans plus de commentaires dans Karen Radner et Alexander Vacek, « The Settlement of Yauna, ‘Ionian’ Identity and the Greek Presence on the Syrian Coast in the Second Half of the Eighth Century BC: A Reassessment of Two Letters from the Nimrud Correspondence », The Journal of Hellenic Studies, 142, 2022, p. 65-99, ici p. 81.

23. Karen Radner, « Hired Labour in the Neo-Assyrian Empire », State Archives of Assyria Bulletin, 16, 2007, p. 185-226, ici p. 190 : « Il est assez clair que les éclaireurs de Kumme reçoivent une rétribution en échange de leurs services, et cela fait le lien entre notre sujet et la question des mercenaires dans l’armée assyrienne : si la présence de troupes étrangères en Égypte à l’époque saïte et dans l’Empire néo-babylonien est bien attestée, cette référence pour le viiie siècle est une preuve précieuse du fait que l’armée assyrienne dépendait déjà des services rémunérés de soldats professionnels extérieurs à l’empire. » Pour un parallèle instructif, voir Hilmar Klinkott, « Söldner, Siedler, Soldaten ? Zum Status von und Umgang mit multiethnischen Streitkräften im Achaimenidenreich », in P. Sänger et S. Scheuble-Reiter (dir.), Söldner und Berufsoldaten in der griechischen Welt. Soziale und politische Gestaltungsräume, Stuttgart, Steiner, 2022, p. 257-287.

24. Mario Liverani, « Kitru, katāru », Mesopotamia, 17, 1982, p. 43-66, ici p. 51-55.

25. K. Radner et A. Vacek, « The Settlement of Yauna… », art. cit., p. 75-76 ; avec des références aux documents pertinents, les auteurs appellent ces hommes des « soldats professionnels ».

26. S. Percy, Mercenaries, op. cit., citations p. 1, 58 et 69 ; voir aussi le diagramme p. 59.

27. Isocrate, Sur la paix 44-45 ; on trouve une liste de caractéristiques négatives similaire, mais moins élaborée, chez Platon, Lois I, 630b. Voir Matthew Trundle, « Epikouroi, Xenoi and Misthophoroi in the Classical Greek World », War and Society, 16, 1998, p. 1-12, ici p. 2-3. Le lien qu’il tisse entre émergence d’une image négative des mercenaires et nationalisme est, selon moi, erroné.

28. Aristote, Éthique à Nicomaque III, 8, 6-9, en particulier III, 8, 9, 1116b15-23 : « Mais les soldats de métier deviennent lâches quand le danger se montre par trop pressant et qu’ils ont l’infériorité du nombre et de l’équipement : ils sont alors les premiers à fuir, alors que les troupes composées de citoyens meurent à leur poste, comme cela est arrivé à la bataille du temple d’Hermès. Pour les soldats-citoyens, en effet, il est honteux de fuir, et la mort est préférable à un salut acquis à ce prix ; les autres, au contraire, commencent par affronter le danger en pensant qu’ils sont les plus forts, mais la vérité une fois connue ils prennent la fuite, craignant la mort plus que la honte. Mais l’homme courageux est d’une autre trempe. » Ce passage n’est pas sans rappeler Machiavel. La loyauté conditionnelle des professionnels de la guerre stipendiés était un lieu commun pour les Grecs : voir Thucydide VII, 48, 5, Énée le Tacticien XII, 2-5 et Polybe XI, 13.

29. Archiloque, fr. 216 West2.

30. Pour l’étymologie du mot et son origine en grec mycénien, voir Kyle Mahoney, « Mycenaean e-pi-ko-wo and Alphabetic Greek ἐπίκουρος Revisited », Kadmos, 56-1/2, 2017, p. 39-88.

31. Archilochos, fr. 25 West2.

32. Voir Jack R. Lundbom, Jeremiah 37-52: A New Translation with Introduction and Commentary, The Anchor Bible 21 c, Londres, Doubleday, 2004, pour la date des deux oracles, entre les dernières années du viie siècle et les premières décennies du vie siècle av. n. è., et la référence aux mercenaires dans les deux. Sur la bataille de Karkemish et son importance, voir Liviu Mihail Iancu, « The Great Conflict over the Levant (612-562 BC) and Its Consequences for the Greeks », in R. Mattila, S. Fink et S. Ito (dir.), Evidence Combined: Western and Eastern Sources in Dialogue, Vienne, ÖAW, 2022, p. 311-372, ici p. 315-317.

33. L. M. Iancu, « The Great Conflict over the Levant… », art. cit., p. 331-332.

34. Pour une nouvelle édition et une traduction en allemand de la stèle de victoire d’Ahmôsis, voir Karl Jansen-Winkeln, « Die Siegesstele des Amasis », Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde, 141, 2014, p. 132-153, notamment p. 135-137 (ici traduite en français).

35. Hérodote II, 162-63.

36. L. M. Iancu, « The Great Conflict over the Levant… », art. cit., p. 336 et n. 87.

37. Walter Mayer, « Sennacherib’s Campaign of 701 BCE: The Assyrian View », in L. L. Grabbe (dir.), “Like a Bird in a Cage”: The Invasion of Sennacherib in 701 BCE, Londres, Bloomsbury, 2003, p. 168-200, ici p. 183-184.

38. Stephen Morillo, « Mercenaries, Mamluks and Militia: Towards a Cross-Cultural Typology of Military Service », in J. France (dir.), Mercenaries and Paid Men: The Mercenary Identity in the Middle Ages, Leyde, Brill, 2008, p. 243-260.

39. S. Morillo, « Mercenaries, Mamluks and Militia », art. cit., p. 247.

40. Le diagramme de la page 260 est très utile pour visualiser la taxonomie de S. Morillo.

41. Voir Richard Abels, « Household Men, Mercenaries and Vikings in Anglo-Saxon England », in J. France, Mercenaries and Paid Men, op. cit., p. 143-165, ici p. 154-157. Sur la question de comment et pourquoi des travailleurs de la guerre grecs sont venus combattre pour Psammétique, voir ci-dessous.

42. L’auteur propose dans son article un diagramme plan composé des axes « détermination politique »/« détermination économique » et « inclusion sociale »/« séparation sociale ».

43. S. Morillo, « Mercenaries, Mamluks and Militia », art. cit., p. 254.

44. Nul doute que certains lecteurs et lectrices ont déjà pensé au groupe Wagner. Il s’agit certainement d’un exemple instructif mais encore trop controversé pour le moment.

45. S. Morillo m’a signalé justement dans un courriel que la réputation et l’identité des travailleurs de la guerre étrangers sont structurellement liées, car il est facile d’en faire la cible des stéréotypes négatifs associés à la différence culturelle.

46. Pour un exemple éclairant de la diversité des conditions couvertes par le terme « mercenaire » dans le cas des travailleurs de la guerre grecs au service de l’Égypte de la XXVIe dynastie, voir Damien Agut-Labordère, « Plus que des mercenaires ! L’intégration des hommes de guerre grecs au service de la monarchie saïte », Pallas, 89, 2012, p. 293-306.

47. Voir la récente étude exhaustive dans Hans van Wees, « The First Greek Soldiers in Egypt: Myths and Realities », in R. Konijnendijk, C. Kucewicz et M. Lloyd (dir.), Brill’s Companion to Greek Land Warfare Beyond the Phalanx, Boston, Brill, 2021, p. 293-344. Pour un aperçu fiable et pratique des preuves de la présence de Cariens en Égypte sous la XXVIe dynastie, voir Günter Vittmann, Ägypten und die Fremden im ersten vorchristlichen Jahrtausend, Mayence, von Zabern, 2003, p. 155-179.

48. Polyen VII, 3 (avec H. van Wees, « The First Greek Soldiers in Egypt », art. cit., p. 319-322) raconte que Psammétique a enrôlé des Cariens contre Tementhes, soit Tantamani, le dernier pharaon de la XXVe dynastie vaincu par Assurbanipal en 663 av. n. è. Sur Polyen, qui s’appuyait principalement sur des auteurs hellénistiques et les principaux auteurs du ive siècle, voir Maria Teresa Schettino, Introduzione a Polieno, Pise, ETS, 1998 ; l’anecdote à propos de Psammétique fait partie d’un petit groupe d’anecdotes consacrées aux premiers souverains non grecs, dont Déjocès et Amasis. Notons que Robert Rollinger, « The Ancient Greeks and the Impact of the Ancient Near East: Textual Evidence and Historical Perspective (ca. 750-650 BC) », in R.M. Whiting (dir.), Mythology and Mythologies: Methodological Approaches to Intercultural Influences, Melammu Symposia 2, Helsinki, Neo-Assyrian Text Corpus Project, 2001, p. 233-264, ici p. 252, envisage la possibilité que des travailleurs de la guerre cariens, et peut-être grecs, se soient mis au service de Psammétique sous les auspices de ses suzerains/alliés (d’alors) assyriens.

49. Je préfère cet horizon chronologique quelque peu vague à une date plus précise et ne souscris pas au raisonnement de H. van Wees, « The First Greek Soldiers in Egypt », art. cit., p. 305, en partie parce que je tends à accorder davantage d’importance à l’initiative personnelle des travailleurs de la guerre et moins aux besoins et aux stratégies des royaumes qui les ont recrutés (voir la discussion sur le rôle de Gygès ci-dessous). Si des travailleurs de la guerre grecs et cariens de deuxième génération étaient déjà enterrés en Égypte à la fin du viie siècle av. n. è., comme certains documents examinés ci-dessous semblent l’attester, le milieu du siècle me semble être une façon satisfaisante (bien qu’imprécise) d’indiquer la date à laquelle leurs pères sont susceptibles d’être entrés au service du pharaon.

50. Hérodote II, 152.

51. RINAP Ashurbanipal 011 = Prism A, III.111-118, http://oracc.org/rinap/Q003710/.

52. Odyssée XIV, 244-284 ; l’histoire est répétée avec des variations à Antinoüs un peu plus loin (XVII, 415-444). Benjamin M. Sullivan, « Paying Archaic Greek Mercenaries: Views from Egypt and the Near East », The Classical Journal, 107-1, 2011, p. 31-61, ici p. 41-42, souligne astucieusement qu’après s’être rendu au roi égyptien, le Crétois passa les sept années suivantes à ses côtés, acquérant de nombreux biens (chrēmata). Compte tenu du fait qu’il se présente comme quelqu’un dont l’occupation principale est le combat, il est tout à fait possible que ces possessions aient été implicitement imaginées comme des récompenses obtenues précisément pour ce genre d’activité, désormais exercée au nom du roi d’Égypte.

53. J’étudie les textes pertinents dans N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit., p. 30-33, en travaillant à partir de traductions ; pour un traitement plus pointu et plus récent de deux des textes, fondé sur l’original, voir K. Radner et A. Vacek, « The Settlement of Yauna… », art. cit., p. 71-79.

54. Pour consulter les textes des inscriptions cariennes d’Égypte, qui constituent le plus grand corpus d’inscriptions en langue carienne, voir Ignacio Javier Adiego, The Carian Language, Leyde, Brill, 2007, p. 30-128. Sur le style et la chronologie des stèles, voir la note 63 ci-dessous.

55. Les inscriptions sont publiées dans André Bernand et Olivier Masson, « Les inscriptions grecques d’Abou-Simbel », Revue des études grecques, 70-329/330, 1957, p. 1-46, ici p. 3-20.

56. Comme suggéré dès 1961 par Lilian H. Jeffery, The Local Scripts of Archaic Greece: A Study of the Origin of the Greek Alphabet and Its Development from the Eighth to the Fifth Centuries B.C., deuxième édition révisée avec un supplément d’A. W. Johnston, Oxford, Oxford University Press, [1961] 1990, p. 355.

57. La documentation relative à Wahibre-em-akhet a été rassemblée par G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 203.

58. Alexandra Villing, « Wahibreemakhet at Saqqara: The Tomb of a Greek in Egypt », Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde, 145-2, 2018, p. 174-186.

59. Voir aussi Ian S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 55, n. 43 et 44.

60. Voir Jan Assmann, Death and Salvation in Ancient Egypt, trad. par D. Lorton, Ithaca, Cornell University Press, [2001] 2005, p 247-250.

61. G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 164-167 (l’inscription carienne pertinente est E.Me 5, dans I. J. Adiego, The Carian Language, op. cit., p. 38). Voir également la statuette de la déesse Neith avec un cartouche du pharaon Psammétique Ier – qui date son inscription entre 663 et 609 av. n. è. – dédiée par un individu portant un nom égyptien et dont les parents semblent être cariens. G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 162, suggère que l’arrivée du père carien en Égypte remonte à une date assez ancienne, probablement vers le milieu du viie siècle av. n. è. L’inscription carienne est E.Sa 2 dans I. J. Adiego, The Carian Language, op. cit., p. 33.

62. G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 164-176 ; I. J. Adiego, The Carian Language, op. cit., p. 30-32.

63. Pour un examen détaillé de la typologie et du style des stèles cariennes, voir Ursula Höckmann, « Bilinguen. Zu Ikonographie und Stil der karisch-ägyptischen Grabstelen des 6. Jhs. v. Chr. », in U. Höckmann et D. Kreikenbom (dir.), Naukratis. Die Beziehungen zu Ostgriechenland, Ägypten und Zypern in archaischer Zeit, Möhnesee, Bibliopolis, 2001, p. 217-232.

64. Pour l’inscription en langue carienne, voir E.Me 8 dans I. J. Adiego, The Carian Language, op. cit., p. 40-41, et p. 355 sur le sens de l’épithète. L’un des taureaux avec une inscription en grec, dédié au taureau Apis par Sokydides (ou Sokydes), est décrit dans L. H. Jeffery, The Local Scripts, op. cit., p. 255 et 466-467. Pour le second taureau avec une inscription en grec, voir Liviu Mihail Iancu, « An Apis Bull Bronze Statuette with East Greek Inscription from the British Museum: A New Ionian Mercenary from Egypt? », Dacia, 65, 2021, p. 151-162. Pour les deux taureaux, voir également U. Höckmann, « Bilinguen », art. cit., p. 225-227.

65. Voir G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 227 et fig. 113. La stèle funéraire d’une femme portant un nom possiblement anatolien, écrite en grec et mentionnant un patronyme grec, publiée dans Paolo Gallo et Olivier Masson, « Une stèle ‘hellénomemphite’ de l’ex-collection Nahman », BIFAO, 93, 1994, p. 265-276, fournit un exemple du mélange d’iconographie égyptienne et sud-ouest anatolienne que l’on retrouve également dans les stèles cariennes ; la stèle elle-même a été perdue et n’est documentée que par une photographie. Contrairement à P. Gallo et A. Masson, qui la datent de la fin du ve siècle av. n. è., voir U. Höckmann, « Bilinguen », art. cit., p. 218, qui plaide de manière convaincante en faveur d’une date au vie siècle. Voir également G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 228-229. Enfin, le seul exemple connu d’un monument portant une inscription (probablement) grecque à côté d’une inscription égyptienne n’est documenté que grâce à un dessin réalisé au xviie siècle ; provenant apparemment de Saqqarah, il peut être identifié comme le naós (temple) d’une statue naophore (G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 228-229, le date du début du vie siècle). Sur ce monument, le même nom apparaît en grec, dans un alphabet archaïque de type rhodien, et en transcription égyptienne, qu’O. Masson a provisoirement interprété comme étant un nom anatolien : voir Ginette Lacaze, Olivier Masson et Jean Yoyotte, « Deux documents memphites copiés par J. M. Vansleb au xviie siècle », Revue d’Égyptologie, 35, 1984, p. 127-137, ici p. 132-137. Il est frappant de constater que ces deux sources semblent commémorer des personnes portant des noms non grecs.

66. J. Assmann, Death and Salvation…, op. cit., p. 210, désigne la fausse-porte comme « le symbole de la religion mortuaire égyptienne le plus ancien, le plus répandu et le plus durable ».

67. Voir mes commentaires dans N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit., p. 25-26 ; voir également R. H. Knapp, « Greek Mercenaries, Coins, and Ideology », art. cit., p. 91 ; Kurt A. Raaflaub, « Archaic Greek Aristocrats as Carriers of Cultural Interaction », in R. Rollinger et C. Ulf (dir.), Commerce and Monetary Systems in the Ancient World: Means of Transmission and Cultural Interaction, Melammu Symposia 5, Stuttgart, Steiner, 2004, p. 197-217, ici p. 206-210.

68. Pour une introduction fiable et détaillée, voir A. Winroth, The Age of the Vikings, op. cit.

69. Voir la note 41 ci-dessus.

70. Voir N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit., p. 34, n. 68 ; Juan Signes Codoñer, « Eubeos y vikingos : ¿piratas o comerciantes ? », Faventia, 30-1/2, 2008, p. 125-141 ; Liviu Mihail Iancu, « ῌ3w-nbwt and Ταυροσκύθαι, ἐπίκουροι and Væringjar: A Comparison Between the Greek Mercenaries of the Saite Pharaohs and the Varangian Mercenaries of the Byzantine Emperors », Il Mar Nero, 10, 2019-2020, p. 9-37, ici p. 10-12.

71. Sur l’« arc nord », la route reliant la Scandinavie à la mer Noire et à l’Asie centrale, voir Michael McCormick, Origins of the European Economy: Communications and Commerce, AD 300-900, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 606-612.

72. Cité dans Sverrir Jakobsson, The Varangians: In God’s Holy Fire, Londres, Palgrave Macmillan, 2020, p. 23-30.

73. Sigfús Blöndal, The Varangians of Byzantium: An Aspect of Byzantine Military History, traduit, révisé et réécrit par B. S. Benedikz, Cambridge, Cambridge University Press, [1954] 1978, fournit un point de départ très accessible sur les Varègues, bien que l’ouvrage commence un peu à vieillir, car fondé sur le manuscrit islandais laissé derrière lui par l’auteur à sa mort en 1950. Pour une introduction plus récente, voir S. Jakobsson, The Varangians, op. cit. Pour une vue concise de leur rôle culturel et de la nature de la documentation, voir Roland Scheel, « Jenseits der ‘Warägergarde’ : Skandinavien zwischen Byzanz und dem Westen », in F. Daim et al. (dir.), Menschen, Bilder, Sprache, Dinge. Wege der Kommunikation zwischen Byzanz und dem Westen, vol. 2, Menschen und Worte, Mayence, Verlag des Römisch-Germanischen Zentralmuseums, 2018, p. 153-170.

74. Roland Scheel, Skandinavien und Byzanz. Bedingungen und Konsequenzen mittelalterlicher Kulturbeziehungen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2 vol., 2015, constitue un véritable jalon, reposant sur l’utilisation exhaustive et méticuleuse de tous les documents pertinents.

75. R. Scheel, « Jenseits der ‘Warägergarde’ », art. cit., p. 156-157 : « À l’exception de rares moments forts tels que les rencontres entre souverains, la garde varangienne, comme les chercheurs contemporains appellent généralement les mercenaires scandinaves au service de Byzance, constituait le contexte le plus important pour les interactions interculturelles, un moteur pour les migrations ainsi qu’un point de convergence et de transfert d’idées. »

76. Ibid., p. 163.

77. Voir Birgit Sawyer, The Viking-Age Rune-Stones: Custom and Commemoration in Early Medieval Scandinavia, Oxford, Oxford University Press, 2000, doc. U 112, p. 261 pour la prosopographie pertinente.

78. An., « Saga des gens du Val-au-Saumon », in Sagas islandaises, éd. et trad. par R. Boyer, Paris, Gallimard, 1987, p. 1077. S. Jakobsson, The Varangians, op. cit., p. 126. Sur l’historicité problématique de cette saga, voir R. Scheel, Skandinavien und Byzanz, op. cit., p. 745-746.

79. R. Scheel, Skandinavien und Byzanz, op. cit., p. 293-294, avec d’autres références.

80. S. Jakobsson, The Varangians, op. cit., p. 80.

81. Roland Scheel, « Concepts of Cultural Transfer Between Byzantium and the North », in F. Androshchuk, J. Shepard et M. White (dir.), Byzantium and the Viking World, Uppsala, Uppsala Universiteit, 2016, p. 53-87, ici p. 59-63 et 71-81.

82. Voir les commentaires à propos des mercenaires suisses rentrant des guerres dans l’Italie du Nord dans A. Esch, Mercenari, mercanti e pellegrini, op. cit., p. 10.

83. Comme souligné par Susanne Ebbinghaus, « Begegnungen mit Ägypten und Vorderasien im archaischen Heraheiligtum von Samos », in A. Naso (dir.), Stranieri e non cittadini nei santuari greci, Florence, Le Monnier, 2006, p. 187-229, ici p. 195.

84. Il est également possible que Pédôn se soit procuré la statue plus tôt et qu’il n’ait fait inscrire la dédicace qu’à une date ultérieure, comme suggéré par D. Agut-Labordère, « Plus que des mercenaires ! », art. cit., p. 294.

85. Sur l’objet et l’inscription, voir Olivier Masson et Jean Yoyotte, « Une inscription ionienne mentionnant Psammétique Ier », Epigraphica Anatolica, 11, 1988, p. 171-179. Sur Pédôn, voir Peter W. Haider, « Epigraphische Quellen zur Integration von Griechen in die ägyptische Gesellschaft der Saïtenzeit », in U. Höckmann et D. Kreikenbom (dir.), Naukratis, op. cit., p. 197-215, ici p. 200-201.

86. Sur les récompenses accordées à Pédôn, voir G. Vittmann, Ägypten und die Fremden…, op. cit., p. 204-205 (le cadeau d’une ville fait probablement référence à l’octroi d’un poste de gouverneur, si l’on se réfère à d’autre cas de grands serviteurs de la couronne, y compris des militaires, s’étant vu confier un tel poste par le pharaon) ; D. Agut-Labordère, « Plus que des mercenaires ! », art. cit., p. 297 ; I. S. Moyer, Egypt and the Limits of Hellenism, op. cit., p. 56-57, avec des remarques sur le rôle des mercenaires en matière de contacts culturels entre la Grèce archaïque tardive et l’Égypte. Dans une récente contribution, Alessandro Piccolo, « Pedon, Son of Amphinnes: A Game of Donors? », Aegyptus, 99, 2019, p. 163-180, a cherché à montrer que Pédôn et son père ont des noms égyptiens.

87. Voir S. Ebbinghaus, « Begegnungen mit Ägypten und Vorderasien… », art. cit., p. 192-197. Une autre statue en pierre égyptienne incomplète avec une inscription grecque provient du sanctuaire de Zeus Atabyrios à Rhodes au viie siècle : Nota Kourou, « Literacy, Networks and Social Dynamics in Archaic Rhodes », in S. Nawracala et R. Nawracala (dir.), ΠΟΛΥΜΑΘΕΙΑ. Festschrift für Hartmut Matthäus anläßlich seines 65. Geburtstages, Düren, Shaker Verlag, 2015, p. 245-263, ici p. 248-249. Pour un inventaire actualisé, voir A. Villing, « Wahibreemakhet at Saqqara », art. cit., p. 179, n. 31.

88. Voir Walter Burkert, « ‘Königs-Ellen’ bei Alkaios : Griechen am Rand der östlichen Monarchien », Museum Helveticum, 53, 1996, p. 69-72.

89. Pour une comparaison du retour de Bolli avec celui d’Antiménide et, plus généralement, du retour des Varègues avec celui des Grecs, voir L. M. Iancu, « ῌ3w-nbwt and Ταυροσκύθαι… », art. cit., p. 31-32.

90. Voir S. Ebbinghaus, « Begegnungen mit Ägypten und Vorderasien… », art. cit., p. 211. Sur la provenance de ces bronzes, voir John Curtis, « Mesopotamian Bronzes from Greek Sites: The Workshops of Origin », Iraq, 56, 1994, p. 1-25, ici p. 17-21. Il existe également un exemple fragmentaire, exactement du même type, provenant de Lindos. Sur leur signification dans le cadre de l’échange de présents royaux en Assyrie, voir Ann C. Gunter, « Orientalism and Orientalization in the Iron Age Mediterranean », in B. A. Brown et M. H. Feldman, Critical Approaches to Ancient Near Eastern Art, Berlin, De Gruyter, 2014, p. 79-108, ici p. 98 : « Les souverains assyriens offraient aux officiers militaires et aux hauts dignitaires de la cour des objets décoratifs, des vêtements et des armes en signe d’estime. » Pour un récit plus détaillé, voir Ann C. Gunter, Greek Art and the Orient, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 171-177.

91. Voir J. Curtis « Mesopotamian Bronzes… », art. cit., p. 21-23 ; là encore, un exemple provient de Lindos.

92. S. Ebbinghaus, « Begegnungen mit Ägypten und Vorderasien… », art. cit., p. 210-211 ; N. Luraghi, « Traders, Pirates, Warriors », art. cit., p. 40. Pour une analyse des circonstances dans lesquelles ces objets ont pu quitter Damas, voir Frederick Mario Fales, « Rivisitando l’iscrizione aramaica dell’Heraion di Samo », in A. Naso (dir.), Stranieri e non cittadini, op. cit., p. 230-252, ici p. 239-241 ; voir Davide Nadali, « Sieges and Similes of Sieges in the Royal Annals: The Conquest of Damascus by Tiglath-Pileser III », Kaskal, 6, 2009, p. 137-149, ici p. 138-139.

93. R. Rollinger, « The Ancient Greeks and the Impact of the Ancient Near East », art. cit., p. 241-242, pense qu’il s’agit de pirates soutenant la rébellion du gouverneur d’Illubru, Kirua, en 696 av. n. è.

94. Voir plus haut la note 37.

95. Citons la brillante interprétation de M. Liverani du serment de loyauté à Assurbanipal que son père Assarhaddon fit prêter aux gardes du palais mède : Mario Liverani, « The Medes at Esarhaddon’s Court », Journal of Cuneiform Studies, 47, 1995, p. 57-62.

96. R. Scheel, « Concepts of Cultural Transfer… », art. cit., p. 56.

97. Pour un début prometteur, voir Marcus Ziemann, « Mercenary Communities in the Near East and Their Contribution to an East Mediterranean Literary Koine », Aula Orientalis, 37-1, 2019, p. 173-196. Voir également les références dans la note 67.

98. Pour un recueil récent de documents et d’études de cas, voir Christopher Metcalf et Adrian Kelly (dir.), Gods and Mortals in Early Greek and Near Eastern Mythology, Cambridge, Cambridge University Press, 2021.

99. Elanor Guralnick, « The Proportions of Kouroi », American Journal of Archaeology, 82-4, 1978, p. 461-472.

100. Pour un exposé précis et convaincant de raisons d’être sceptique quant au rôle du commerce et des marchands comme vecteurs de la culture orientalisante, voir A. C. Gunter, Greek Art and the Orient, op. cit., p. 128-137. Voir également ead., « Orientalism and Orientalization… », art. cit., p. 100 : « Pour autant qu’on puisse en juger, rares sont les objets fabriqués au Proche-Orient et retrouvés en Grèce dans des sanctuaires ou des tombes qui ont circulé de manière routinière par les réseaux commerciaux. Au contraire, leur transfert a été à la fois très limité et étroitement associé à l’idéologie impériale assyrienne et à l’‘assyrianisation’ des terres sous contrôle assyrien. C’est avec ce monde assyrianisé que les Grecs ont interagi à Chypre et sur le pourtour oriental de la Méditerranée aux viiie et viie siècles av. J.-C. »

101. Sur l’histoire des Juifs d’Éléphantine, voir Bezalel Porten, Archives from Elephantine: The Life of an Ancient Jewish Military Colony, Berkeley, University of California Press, 1968, p. 8-27.

102. Voir Andreas Wimmer, « The Making and Unmaking of Ethnic Boundaries: A Multilevel Process Theory », American Journal of Sociology, 113-4, 2008, p. 970-1022.

103. Kelly DeVries, « Medieval Mercenaries: Methodology, Definitions, and Problems », in J. France (dir.), Mercenaries and Paid Men, p. 43-60, ici p. 49.

104. K. DeVries, « Medieval Mercenaries », art. cit., p. 50. Sur la diversité ethnique parmi les Varègues, voir également Roman Shliakhtin, « Alexios, Emperor of the Diasporas? The Komnenian Revolt of 1081 and Foreign Military Groups in Byzantium », in G. Christ, P. Sänger et M. Carr (dir.), Military Diasporas: Building of Empire in the Middle East and Europe (500 BCE-1500 CE), Londres/New York, Routledge, 2022, p. 152-175, ici p. 154.

105. Dirk H. A. Kolff, Naukar, Rajput and Sepoy: The Ethnohistory of the Military Labour Market in Hindustan, 1450-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 57-58.

106. Bezalel Porten et André Lemaire, « Personal Names in New Aramaic Ostraca from Syene », in M. Folmer (dir.), Elephantine Revisited: New Insights Into the Judean Community and Its Neighbors, University Park, Eisenbrauns, 2022, p. 142-168, ici p. 143-144 ; voir également Bob Becking, « The Identity of the People at Elephantine », in M. Folmer (dir.), Elephantine Revisited, op. cit., p. 106-123 ; et Philip Kaplan, « Cross-Cultural Contacts Among Mercenary Communities in Saite and Persian Egypt », Mediterranean Historical Review, 18-1, 2003, p. 1-31, ici p. 14. Sur l’identité culturelle des Araméens de Syene, voir M. Ziemann, « Mercenary Communities… », art. cit., p. 178-179. La présence probable d’un nom carien dans l’inscription d’Abou Simbel pourrait en être un autre exemple ; voir A. Bernard et O. Masson, « Les inscriptions grecques d’Abou-Simbel », art. cit., p. 9.

107. Sur les Itu’éens, voir F. M. Fales, Guerre et paix en Assyrie, op. cit., p. 145-151.

108. Cynthia H. Enloe, Ethnic Soldiers: State Security in Divided Societies, Athens, University of Georgia Press, 1980, note p. 50 : « Le recours à une stratégie de ‘race martiale’ pour bâtir une armée semble être la quintessence d’un système étatique impérial des sociétés pré-contemporaines. » Pour une autre étude de cas très intéressante, sur les Sikhs, voir Heather Streets, Martial Races: The Military, Race and Masculinity in British Imperial Culture, 1857-1914, Manchester, Manchester University Press, 2004 ; Gavin Rand et Kim A. Wagner, « Recruiting the ‘Martial Races’: Identities and Military Service in Colonial India », Patterns of Prejudice, 46-3/4, 2012, p. 232-254.

109. C. H. Enloe, Ethnic Soldiers, op. cit., p. 28 ; voir également Tony Gould, Imperial Warriors: Britain and the Gurkhas, Londres, Granta Books, 1999, p. 125-127, sur l’ethnographie des Gurkhas dans les manuels des recruteurs de l’armée britannique.

110. Lionel Caplan, Warrior Gentlemen: “Gurkhas” in the Western Imagination, Providence, Berhahn Books, 1995, p. 101-107.

111. Carol van Driel-Murray, « Imperial Soldiers: Recruitment and the Formation of Batavian Tribal Identity », in Z. Visy (dir.), Limes XIX: Proceedings of the XIX International Congress of Roman Frontier Studies, Pécs, University of Pécs, 2005, p. 435-439. Voir également Gary Reger, « Ethnic Identities, Borderlands, and Hybridity », in J. McInerney (dir.), A Companion to Ethnicity in the Ancient Mediterranean, Malden, Wiley Blackwell, 2014, p. 112-126, ici p. 118-119.

112. Voir l’analyse exhaustive dans Joachim Friedrich Quack, « Das Problem der H3w-nb.wt », in A. Luther, R. Rollinger et J. Wiesehöfer (dir.), Getrennte Wege ? Kommunikation, Raum und Wahrnehmung in der Alten Welt, Oikumene 3, Francfort, Verlag Antike, 2007, p. 331-362.

113. Le général Potasimto, qui apparaît comme le commandant des alloglossoi dans l’inscription d’Abou Simbel, portait les titres égyptiens de « chef des Haunebut » et de « chef des étrangers ». Voir Alan Rowe, « New Light on Objects Belonging to the Generals Potasimto and Amasis in the Egyptian Museum », Annales du Service des Antiquités de l’Égypte, 38, 1938, p. 157-195, ici p. 169.

114. Mais on remarque l’exception isolée d’Hérodote III, 11, 1, dans le contexte de l’invasion de l’Égypte par Cambyse en 526 av. n. è., qui les désigne alors comme « Grecs ».

115. Voir Jonathan M. Hall, Hellenicity: Between Ethnicity and Culture, Chicago, The University of Chicago Press, 2002, p. 68-69 ; Naoise Mac Sweeney, Foundation Myths and Politics in Ancient Ionia, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 157-165.

116. Voir les remarques de P. Kaplan, « Cross-Cultural Contacts… », art. cit., p. 14.

117. Tablettes KN XD 146 et KN B 164 dans John Chadwick et al. (dir.), Corpus of Mycenaean Inscriptions from Knossos, vol. 1, 1-1063, Rome/Cambridge, Edizioni dell’Ateneo/Cambridge University Press, 1986, p. 67 et 81. Voir également J. M. Hall, Hellenicity, op. cit., p. 71, n. 74.

118. Voir ci-dessus, note 53. Dans l’un des documents, il semble qu’il y ait un établissement appelé Iauna quelque part sur la côte nord du Levant : K. Radner et A. Vacek, « The Settlement of Yauna… », art. cit., p. 80-84.

119. Voir ci-dessus, note 25.

120. La possibilité que le nom « Ioniens » ait pu trouver son origine dans la zone de contact de la Méditerranée orientale a déjà été envisagée. Voir notamment Peter Högemann, « Homer und der Vordere Orient. Auf welchen Weg kam es zum Kulturkontakt ? Eine Zwischenbilanz », in E. Schwertheim et E. Winter (dir.), Neue Forschungen zu Ionien. Fahri Işık zum 60. Geburtstag gewidmet, Bonn, Habelt, 2005, p. 1-19, ici p. 10 ; K. Radner et A. Vacek, « The Settlement of Yauna… », art. cit., p. 79-80.

121. Pierluigi Tozzi, La rivolta ionica, Pise, Giardini 1978, p. 25-27, souligne que « Ionien » fait référence à l’un des districts tributaires de l’Empire athénien tout en se penchant sur le sens du terme Yauna dans l’Empire perse et dans les langues proche-orientales plus largement.