Gorgias, le sophiste, le raisonneur, ľincrédule Gorgias, lorsqu'il veut montrer la puissance irrésistible de la parole, se réfère à deux formes de paroles, qui sont les moins rationnelles de toutes. La première pourrait, à cet égard, laisser un doute, puisqu'il s'agit de la poésie; mais la seconde n'en laisse aucun, car le texte désigne bien clairement la parole magique et les sortilèges: «Les incantations sacrées qui se font par la parole apportent le plaisir, emportent le chagrin; en effet, le pouvoir de ľincantation, se mêlant à ľopinion de ľâme, ľensorcelle et la fait changer ďavis de façon magique. Car on a trouvé deux arts de magie et de sorcellerie, qui sont les fautes de ľâme et les erreurs de ľopinion trompée» (Hélène, 9). Ľaccumulation de mots comme ἐπῳδαί, θέλγείν, γοητεία, μαγεία, montre assez qu'il s'agit de magie au sens propre du terme; elle confirme aussi que la parole poétique, mentionnée en même temps, ľest, elle aussi, pour son effet puissant et mystérieux. La rencontre ďun tel thème dans un tel contexte et chez un tel auteur pourrait avoir de quoi surprendre et offre un sujet ďétude qui semble assez approprié pour un hommage adressé à ľillustre auteur de The Greeks and the Irrational. Il le paraît plus encore si, au lieu de considérer le texte lui-même, on regarde en arrière, du côté des poètes qui ont vécu avant Gorgias: un bref examen suffit alors à montrer que la tentative du sophiste pour utiliser rationnellement ces pouvoirs irrationnels de la parole est, en fait, ľaboutissement ďune longue évolution, qui a permis et facilité cette prise de position spectaculaire.
En effet, pour que le pouvoir miraculeux de la poésie et de la magie pût se trouver annexé à parole humaine en général, il fallait que celui-ci eût profondément changé de sens. Ľexemple de la magie peut servir à illustrer cette différence de valeur: c'est pourquoi il mérite ďêtre évoqué ici, dans la mesure où il éclaire ce qui concerne la poésie.