1. Introduction
Les activités métalinguistiques représentent une dimension indissociable du fonctionnement du langage, en tant que manifestation de la propriété de réflexivité des langues naturelles, à tel point que Jakobson (Reference Jakobson and Sebeok1960) incluait dans la liste des fonctions du langage naturel la « fonction métalinguistique ».Footnote 1 On observe ainsi de manière courante l’emploi métalinguistique d’items linguistiques dans des expressions discursives telles que celles qui expriment une attitude du locuteur par rapport à son dire ou à celui d’autrui. Les phénomènes qui m’intéressent ici sont le produit d’un regard réflexif pleinement assumé du locuteur sur un contenu discursif.
La présente étude cherche à caractériser un type particulier de ces phénomènes, à savoir la distanciation, qui permet au locuteur de se désengager d’un premier contenu discursif. Je propose d’étudier ce phénomène sur la base de propriétés définitoires objectivables et reproductibles, ce qui sera illustré dans ma démarche par l’analyse de trois unités linguistiques précises, choisies parmi les marqueurs de discours bâtis sur le verbe dire et renvoyant à une parole préalable: c’est vite dit, c’est beaucoup dire, c’est toi qui le dis.Footnote 2 Ces trois unités comportent une certaine comparabilité sur les plans formel et syntaxique: il s’agit de formes plus ou moins figées à partir d’une tournure impliquant un verbe comme dire; elles contiennent une marque de renvoi à ce qui a été dit, mais ne contiennent pas de sujet incluant le locuteur ; elles sont optionnelles sur le plan syntaxique. De plus, des travaux antérieurs ont déjà associé ces marqueurs à une valeur de distanciation, de par leur manière d’amener l’allocutaire à décoder une attitude par rapport au discours émis (Rouanne Reference Rouanne, Gómez-Jordana and Anscombre2015; Gómez-Jordana Ferary Reference Gómez-Jordana Ferary, Rouanne and Anscombre2016; Álvarez-Castro Reference Álvarez-Castro, Rouanne, Anscombre and Kleiber2023).Footnote 3 Une fonction commune, le commentaire métalinguistique déclenché par une réfutation de certains choix antérieurs, semble sous-tendre dans tous les cas le profil spécifique de chaque marqueur.
L’approche présentée ici tente de concilier deux perspectives, l’une onomasiologique et l’autre sémasiologique: la première concerne une réflexion sur la fonction discursive au service d’une attitude spécifique de mise à distance du locuteur par rapport à un dire antérieur, et la deuxième une réflexion sur la façon dont un locuteur utilise chacun de ces marqueurs. Sur un plan théorique, j’opterai pour une approche énonciative en termes d’engagement énonciatif par rapport à un contenu discursif potentiellement en lien avec une orientation argumentative.
Ce travail sera fondé sur l’analyse d’exemples authentiques de ces trois marqueurs du français contemporain, recueillis sur une période de 1950 à 2020, et d’exemples forgés pour les besoins de l’explication.Footnote 4 Notons d’emblée que, loin de prétendre établir un répertoire lexicographique de marqueurs servant à la distanciation ou de viser à une analyse exhaustive des mécanismes sémantico-pragmatiques inhérents à l’emploi des trois marqueurs en question, je m’intéresserai à d’éventuelles caractéristiques linguistiques discriminantes, dans le but d’établir une structure sémantique profonde (Anscombre et al. Reference Anscombre, Donaire and Haillet2013, Reference Anscombre, Donaire and Haillet2018).Footnote 5 Ainsi, je me propose de rendre contrôlables et reproductibles les affirmations concernant cette structure profonde et me limiterai aux propriétés empiriques repérables de l’énoncé. Ma présentation se trouve ainsi guidée par le principe d’étayer toute hypothèse sémantique par des critères formels dans un souci d’objectivation et d’argumentation.
Du point de vue de son organisation, cette étude présentera tout d’abord l’effet de distanciation du locuteur vis-à-vis d’un dire antérieur, pour ensuite se pencher sur l’examen de plusieurs propriétés constitutives de ce phénomène linguistique. Dans ma démarche, l’analyse sémantico-pragmatique des trois marqueurs qui me serviront de témoins me permettra également de mettre en évidence d’un point de vue contrastif, les aspects qui les rapprochent ainsi que ceux qui les séparent, en vue d’une meilleure compréhension de leur fonctionnement.
2. Vers une analyse de la distanciation
Cette étude part de l’hypothèse selon laquelle plusieurs domaines de recherche linguistique s’articulent autour de la notion de distanciation, à savoir la modalisation discursive, l’énonciation et l’argumentation. Les différents procédés de distanciation ont pour point commun de représenter le locuteur comme mettant en place une situation d’énonciation où il exerce un certain contrôle sur ladite situation, en s’octroyant le choix de s’opposer à un sens préconstruit dans le discours et d’assumer la responsabilité de sa non-validation. De cela résulte une distance entre le locuteur et son dire ou le dire de l’autre. Cette interprétation, qui voit le locuteur s’opposer à d’autres personnages du discours effectif, et concerne le niveau de la structure de surface, doit être ramenée à une description linguistique, qui se fait cette fois au niveau de la structure profonde. En structure profonde, je dirai que la représentation du locuteur se situe à distance par rapport à un point de vue.Footnote 6
Dans la même veine et dans la mesure où ces procédés de distanciation fonctionnent globalement comme des indices de la présence du locuteur dans l’énoncé, la distanciation fait figure d’attitude marquée du locuteur à l’égard de son énoncé et/ou de son interlocuteur. Il apparaît ainsi que les marqueurs considérés jouent un rôle majeur dans l’expression de la subjectivité, comme l’ont déjà signalé de nombreux auteurs à propos des marqueurs de discours (Traugott Reference Traugott, Onodera and Suzuki2007; Hancil Reference Hancil and Hancil2011; parmi bien d’autres). Selon mon hypothèse de départ, le locuteur revient explicitement sur « le dire de mots de l’énoncé » (Authier-Revuz Reference Authier-Revuz2020: 23) pour signaler une problématique relative à un contenu p.Footnote 7 Cela se traduit par une mise en avant de sa subjectivité tout en indiquant qu’il tend à se désengager de p en ce qu’il ne se porte pas garant de p.
Dans une perspective énonciative et polyphonique (Anscombre Reference Anscombre and Anscombre2013, Reference Anscombre, Anscombre, Donaire and Haillet2018), ce mouvement réflexif induit par un item linguistique implique une distribution de rôles discursifs en fonction de la construction d’une certaine constellation discursive autour d’au moins deux êtres de discours: (i) le locuteur, qui s’identifie à la source subjective spécifique qui porte son regard sur un contenu ou objet discursifp; (ii) un locuteur antérieur, source de p. On peut ainsi parler de dédoublement énonciatif, dans la lignée du concept d’« hétérogénéité énonciative » d’Authier-Revuz (Reference Authier-Revuz and Danon-Boileau1984): p est pris comme un objet de discours commenté après coup par le locuteur. Ce dédoublement énonciatif s’avère inhérent à l’opération modalisante réalisée par le locuteur qui adopte une attitude de désengagement vis-à-vis de p.
Dans une perspective onomasiologique, je rejoins la proposition fonctionnelle pour l’étude des marqueurs de discours adoptée par López Serena et Borreguero Zuloaga (2010) et Borreguero Zuloaga et López Serena (Reference Borreguero Zuloaga, López Serena, Aschenberg and Loureda Lamas2011), proposition construite à partir d’un modèle général sur le fonctionnement du discours. Elles distinguent trois macrofonctions essentielles dans le fonctionnement des marqueurs de discours: la fonction interactionnelle, la fonction métadiscursive et la fonction cognitive. Je ferai l’hypothèse que le rôle des marqueurs considérés dans la présente étude a affaire principalement à la troisième de ces fonctions, dans la mesure où ils contribuent à la création du sens lié à l’expression d’une attitude par rapport à un contenu p et à la génération d’inférences.Footnote 8 Une telle conception de la distanciation ouvre la porte à une vision en termes d’engagement (ou de désengagement) énonciatif du locuteur envers ce qui a été énoncé.
De manière générale, appréhender le phénomène de la distanciation par rapport à un dire antérieur implique, selon moi, que la compréhension de plus en plus approfondie des marqueurs dont fait usage le locuteur soit accompagnée d’un examen des caractéristiques spécifiques de la relation discursive en jeu.
3. Propriétés constitutives des procédés de distanciation par rapport à un dire antérieur
Cette étude propose à présent d’aborder plus en détail un certain nombre de propriétés fonctionnelles au moyen desquelles le locuteur revient sur son dire ou celui de l’autre pour signifier une distanciation: retour du dire sur lui-même, réactivité, structure informationnelle, fonction de connexion, désengagement et anti-orientation argumentative. C’est à partir de l’analyse d’exemples que je montrerai comment ces dernières propriétés peuvent être objectivées.
3.1 Propriété 1: retour du dire sur lui-même
La distanciation marque un retour du dire sur lui-même sur la base d’une réfutation de ce qui a été dit. Un procédé de distanciation est ainsi utilisé par le locuteur pour signifier son dissentiment avec les propos d’un locuteur antérieur. On pourra repérer, sur les plans morphologique et syntaxique, des traces explicites de ce retour dans le cas des trois marqueurs considérés.
Outre le processus de formation des trois marqueurs comme moyens d’expression de certaines fonctions subjectives et pragmatiques, il convient de noter que, même si on constate un certain degré de figement (dont un processus de désémantisation ou du moins d’affaiblissement du sens plein), celui-ci n’a pas atteint les expressions en totalité.Footnote 9 C’est ce que je me propose d’étudier à présent en m’appuyant sur des critères de figement (Gross Reference Gross1996; Svensson Reference Svensson2004; parmi d’autres).Footnote 10 Le fait que certaines structures ne peuvent être combinées avec la négation ni entrer dans une interrogation (et donc s’éloignent de l’emploi verbal plein) est une caractéristique bien connue des marqueurs de discours, indépendamment de ce à quoi ils servent: ?ce n’est pas vite dit, ?c’est vite dit ?, ?ce n’est pas beaucoup dire, ?c’est beaucoup dire ?, ?ce n’est pas toi qui le dis, ?c’est toi qui le dis ? En outre, par suite du figement de dire, cet emploi est largement préférentiel par rapport à des verbes de sens apparenté, comme raconter ou expliquer. Le passage de dire à raconter ou expliquer dans c’est vite raconté/expliqué, c’est beaucoup raconter/expliquer ou c’est toi qui le racontes/l’expliques rend malaisée la lecture comme marqueur de discours. La quasi-synonymie ne suffit pas toujours à préserver le sens discursif dans les expressions considérées, ce qui serait un critère pour affirmer un certain degré de figement sémantique.
Cependant, cela n’empêche pas que certaines valeurs sémantiques puissent se conserver plus longtemps, ce qui est le cas pour le caractère déictique de certains constituants, permettant ainsi la continuité référentielle. Dans le cas de c’est vite dit, le démonstratif ce, sous sa forme élidée c’, renvoie à l’élément du discours qui déclenche l’utilisation de la construction (référence interne).Footnote 11 On peut le vérifier par l’existence du paradigme suivant à l’intérieur de son paradigme d’appartenance: cela est vite dit/tout cela est vite dit et même tout cela/tout ça, c’est vite dit. À y regarder de près, il semble évident que la présence marquée du pouvoir référentiel (argument s’opposant au figement référentiel) et la possibilité de variation paradigmatique (argument s’opposant au figement sémantique) vont à l’encontre de la thèse d’une structure totalement figée.
Il n’en est pas de même pour c’est beaucoup dire, qui est plus contraint: en particulier, la variante cela est beaucoup dire semble impossible. En revanche, on peut trouver des attestations de ça, c’est beaucoup dire dans des échanges dialogaux, ce qui amène à postuler la conservation du caractère déictique de c’, qui renvoie à p par l’intermédiaire de ça.
Dans le cas de c’est toi qui le dis, la possibilité de la répartie C’est pas seulement moi qui le dis, c’est tout le monde, montre que toi y a son rôle déictique usuel. Par ailleurs, la possibilité de répondre par Bien sûr, que je le dis, que p, montre que le réfère à p.
Ce qui précède tendrait à prouver que l’hypothèse de l’opacité sémantique de ces expressions, ou encore leur non-compositionnalité, serait inexacte, car s’il est vrai qu’on ne peut déterminer systématiquement le sens global à l’aide de la seule structure de surface, il reste que le figement peut n’être que partiel.
Corollairement, le retour sur un dire antérieur peut se manifester par une reprise en écho d’un propos précédant X, très souvent (mais non nécessairement) quasi à l’identique (1).Footnote 12 Dans le cas particulier de c’est toi qui le dis, on le trouve comme réplique immédiate à X en situation dialogale (2):


Le segment repris en (1) est une citation du locuteur du dire d’un locuteur antérieur qu’il feint de mentionner. En (2), c’est toi qui le dis implique qu’un autre discours a eu lieu avant son apparition: à X (Tu es le Roi du peuple) correspond en fait une information p susceptible de reprise anaphorique, comme constaté ci-dessus.Footnote 13
Par ailleurs, c’est vite dit et c’est beaucoup dire montrent une préférence pour une position détachée en fin d’énoncé (sous la forme X c’est vite dit/c’est beaucoup dire) ou en incise en position médiane (X c’est vite dit/c’est beaucoup dire Y). On notera en même temps la difficulté du déplacement du marqueur en position frontale, c’est-à-dire, antéposé à X. Ainsi, (3b) et (4b) présentent une certaine bizarrerie, bien qu’étant interprétables:


On voit encore mieux cette difficulté dans les occurrences où le marqueur apparaît après la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots en contigüité, avec une intonation marquée, à des fins discursives, comme en (5):Footnote 14

Cette réduplication, qui renvoie à un dire antérieur, joue un rôle thématique et est généralement suivie d’un commentaire. C’est dans le cadre de cette réduplication que le locuteur de (5) fait un commentaire réflexif et construit discursivement la distance par rapport à ce dire antérieur. Je pars d’une caractéristique générale concernant l’ordre des informations thème-rhème en français, à savoir que, dans un énoncé déclaratif simple, l’information thématique précède l’information rhématique, ou peut très généralement être placée dans une telle position, ce qui expliquerait également, dans les deux énoncés suivants où une réduplication apparaît, l’acceptabilité de (6) et l’inacceptabilité de (7):

En (6), le locuteur de la réduplication, qu’accompagne une intonation marquée, s’étonne, voire s’agace, d’une question qu’on lui a posée. L’anaphore indique que le commentaire est rhématique.
3.2 Propriété 2: réactivité
Globalement, ce que la distanciation traduit, c’est l’installation, au cours du dire, d’un dédoublement énonciatif, qui conduit à un certain remaniement des représentations construites dans le discours. À ce titre, s’il est pertinent de considérer les procédés de distanciation en tant que marques linguistiques d’une opération de remaniement, la question se pose maintenant de savoir si une telle opération est assimilable à une réactivité. Par réactivité, je comprends en gros la manière dont un « objet » peut se sentir « affecté » par l’action d’un « agent ». Je m’intéresse plus particulièrement à une réactivité dans le sens qu’Anscombre (Reference Anscombre and Rouanne2023) accorde aux notions de schéma processif et procès réactif. Dans cette optique, le jeu énonciatif instauré par l’emploi d’une quelconque construction peut faire intervenir un schéma processif du type « x agit sur y », x étant l’origine du procès et y le récepteur. Parmi les réactions possibles lors de la réception par y de l’action de x, Anscombre signale la possibilité d’un choix de la part de y. Il parle alors d’un procès réactif, d’un procès non réactif dans le cas contraire.
Dans l’expression attitudinale véhiculée par les trois marqueurs considérés, j’observe tout d’abord une réaction à une parole dite, attribuable au responsable de l’énonciation (‘je’), assimilé dans le discours direct au locuteur, c’est-à-dire l’entité discursive que l’énoncé présente comme étant son auteur. Je se représente comme de type réactif, ayant le choix de sa réaction à la parole dite. Dans tous les cas, le locuteur ne peut réagir qu’à des propos verbalisés et non pas à un comportement ou à une situation. Cette propriété est vérifiée par le fait que ces marqueurs ne peuvent être un mot d’ouverture, pas plus qu’ils ne peuvent suivre un mot ou une expression d’ouverture n’ayant pas de contenu propositionnel. Observons, dans cette optique, le contraste entre les exemples suivants où l’expression Vous permettez, correspondant à une intervention initiative sans contenu propositionnel, restreint de ce fait les possibilités d’enchaînement:

Peut-être peut enchaîner sur vous permettez, mais pas c’est vite dit ou c’est beaucoup dire. À la différence de ces marqueurs, peut-être n’implique pas nécessairement une réaction aux propos d’un locuteur antérieur.
Cela dit, leur réactivité n’est pas équivalente dans les trois marqueurs considérés. Alors que les deux premiers sont évaluatifs (ce sont des opinions), ce qui transparaît par la possibilité de leur combinaison avec je trouve que, le troisième n’est pas un jugement et semble assez mal supporter cette expression:

Les deux premiers comportent un élément indiquant une gradation (vite, beaucoup), ce qui les rend compatibles avec je trouve. En revanche, l’énonciation de c’est toi qui le dis constitue un acte réactif qui appartient au type polémique dans la mesure où le locuteur refuse d’entrer dans le jeu illocutoire associé à l’assertion de p, qui consiste à admettre le changement d’état du monde lié de façon constitutive à l’assertion de p. Notons que, contrairement à c’est vite dit et c’est beaucoup dire, c’est toi qui le dis n’admet pas la question orientée sous la forme non ?, qui cherche à infléchir la réponse vers une confirmation positive:

La demande de confirmation qu’est en français la question-reprise p, non ? fait de p le point de vue à faire admettre par l’interlocuteur. Un acte polémique comme celui instruit par c’est toi qui le dis sur les intentions portées par la parole effective de l’interlocuteur supporte mal l’attente d’une réaction consensuelle de celui-ci.
3.3 Propriété 3: structure informationnelle
Les marqueurs de discours qui participent aux procédés de distanciation par rapport à un dire antérieur débordent, comme bon nombre de marqueurs, les limites syntaxiques de la phrase pour figurer dans la macrostructure énonciative, en jouant sur des paramètres discursifs. Ma conception de la construction discursive est tributaire de la capacité de ces éléments linguistiques à hiérarchiser les informations et à se transformer en guides des inférences qui aident l’interlocuteur à reconstruire le sens et à déceler l’intention informative du locuteur. C’est ainsi que le phénomène de la distanciation apparaît comme lié à la structure informationnelle de l’énoncé et du discours.Footnote 15 La distanciation contribue à l’organisation que le locuteur fait de son discours au niveau de la hiérarchisation des informations présentées.
D’un côté, le segment X permet de désigner une entité correspondant à « ce dont on parle », en d’autres termes, un domaine de référence dans lequel le marqueur dit s’inscrire par la suite. La présence du segment X s’avère d’ailleurs obligatoire dans le cas des trois marqueurs considérés, le marqueur ne pouvant pas ouvrir le discours, comme cela a déjà été signalé dans la section 3.2. La structure sémantique canonique des séquences contenant respectivement les trois marqueurs considérés introduit ainsi comme valeur cadrative une énonciation réelle antérieure et, à l’intérieur dudit cadre, le locuteur déclare c’est vite dit, c’est beaucoup dire ou c’est toi qui le dis.
Les marqueurs considérés reprennent la ligne thématique de l’énoncé ou des énoncés précédents, ce qui est en question. On peut observer dans certains exemples une stratégie de thématisation, assortie d’une récupération informative sous forme de reprise en écho de X (1), de réduplication (5a), ou de reprise anaphorique de X (15), généralement à gauche du marqueur. Le locuteur met ainsi en jeu un contenu qu’il demande de partager:

Cette thématisation contribue, d’un point de vue pragmatique, à rendre plus accessible cette information à l’interlocuteur, car elle fonctionne comme un pointage de ce dont le locuteur veut se distancier dans le dire antérieur.Footnote 16 Par ailleurs, cette stratégie de thématisation permet d’analyser le déroulement, d’un énoncé à l’autre, de l’information relevant du domaine référentiel maintenu au cours de la construction du discours.
De l’autre côté, les mécanismes de distanciation permettent au locuteur d’introduire une sorte d’annotation, ressortissant à l’activité métalinguistique, qui se manifeste par une réflexion du locuteur sur son propre discours ou sur celui de l’autre. Ils apparaissent comme une opération informative mettant en évidence le référent auquel ils se rattachent et faisant entrer en ligne de compte la subjectivité du locuteur. Celle-ci émerge lorsque le locuteur refuse de donner son accord à X. Cette information est, selon moi, à assimiler à un élément focalisé: le retour du dire sur lui-même s’accompagne de l’attitude assumée du locuteur par rapport à une information. Sa relation avec cette information constitue un choix paradigmatique de sa part. C’est un contenu sémantique à la seule charge du locuteur que celui-ci donne à son interlocuteur comme information à enregistrer, mais qu’il ne lui demande pas de partager.Footnote 17 Cette information, étant focalisée, fait partie du posé, se distinguant d’un contenu du type présupposé, si bien que la distanciation mise en place par rapport à l’idée d’échange en (16a) peut donner lieu, par exemple, à un enchaînement explicatif. La suppression de c’est vite dit rendrait difficile l’enchaînement de puisque (16b):

En même temps, la position des marqueurs considérés, qui suivent très souvent une pause forte ou faible, leur fournit un relief informatif qui donne l’indice du biais caractérisant la perspective choisie par le locuteur. La possibilité de mise en incise de certains marqueurs ou leur préférence pour une position non insérée dans la structure prosodique de l’énoncé, qui fait que, par ricochet, ils apparaissent très souvent écrits entre virgules, annonce leur caractère modalisant. On peut le comprendre si on remarque que les incises sont des commentaires sur le dire qui peuvent avoir une valeur modale.Footnote 18
3.4 Propriété 4: fonction de connexion
On aura noté corollairement aux propriétés 1 et 3 que le caractère métalinguistique de la distanciation ouvre une voie à la réflexion sur une propriété souvent associée aux marqueurs de discours, à savoir la fonction de connexion. Dans le droit fil de la grammaire traditionnelle, la connexion consisterait à relier syntaxiquement deux segments de discours, présents en surface de l’énoncé. Or l’analyse des exemples attestés montre que la distanciation introduite par les marqueurs sélectionnés porte sur un segment de discours X (et le contenu propositionnel p par lui représenté) et ne dépend pas d’un segment de discours Y. Ces marqueurs s’inscrivent par rapport à un discours antérieur et représentent pour le locuteur le moyen de le commenter. En effet, dans les occurrences étudiées, les différents marqueurs admettraient des gloses dans cette direction. Ainsi: « X est discutable: le passage à la conclusion a été fait sans réfléchir à l’existence d’une autre possibilité » (3a) ; « L’emploi de X n’est pas adéquat vis-à-vis de la situation et une représentation mineure serait préférable » (4a) ; « Prends X à ton compte, moi je m’en détache » (2).Footnote 19
Il arrive parfois que la distanciation envers X soit expliquée à la suite du marqueur. Dans ce cas, un segment de discours Y est présent dans la structure de surface de l’énoncé (associé au contenu q par lui représenté, qui est la raison faisant dire au locuteur sa distanciation), mais son existence n’est ni nécessaire ni obligatoire à l’effet de distanciation:

Dans (17), X correspond au segment matériel « (Parler de) position dominante », qui reprend de manière échoïque ce qu’a énoncé un locuteur antérieur pour la première fois, et Y au segment matériel « c’est le client qui décide ou a décidé ». La fonction principale de c’est vite dit consiste à représenter un commentaire du locuteur sur p (selon la Commission européenne, Google était dans une situation d’abus de position dominante) et à présenter q (le client assume sa part de responsabilité dans la signature d’un contrat même abusif), spécifié dans ce cas par Y, comme un élément permettant de remettre en cause p.
À ces éléments présents en surface peuvent s’ajouter, dans la description linguistique de la distanciation, d’autres éléments faisant intervenir des indications non formulées mais néanmoins convoquées. C’est le cas, par exemple, des savoirs communs. Un tel phénomène est à l’œuvre en (19):

Le journaliste se fonde sur l’affirmation antérieure du locuteur « il passait souvent […] et il faisait la conversation » pour poser la question « Ce sont des amis ? ». Cette question met en scène l’« assertion préalable » (Anscombre et Ducrot 1981) ‘ce sont des amis’, dont l’intervention est justifiée par l’existence d’un savoir commun ‘Avec les amis on a des conversations agréables’, qui permet de voir ‘on a des conversations (agréables)’ comme un argument susceptible de justifier la conclusion ‘on est amis’. Le locuteur de c’est vite dit fait un retour sur X pour refuser le bien-fondé de cette conclusion, tout en assumant la prémisse ‘avec Souchon la conversation est très agréable’.
La distanciation dont il est question dans les trois marqueurs analysés me paraît ainsi un phénomène d’ancrage dialogique dans lequel le discours du locuteur partage avec celui du locuteur antérieur un même objet de discours p en structure profonde. L’objet de discours commenté est ancré par le marqueur sur des discours autres (q, r …), explicités ou non explicités, ce qui a été illustré à l’exemple (19).
Cela étant, et dans la mesure où je n’envisage pas une conception de la connexion comme connectant des segments matériels de la structure de surface, il s’avère pertinent de mettre à contribution un niveau d’analyse autre que la structure formelle apparente (structure syntaxique, morphologique…) pour représenter tous les facteurs en jeu.Footnote 20 C’est au niveau de la structure profonde, distincte de la structure de surface, que se pose la connexion, telle que je la conçois, entre les différents contenus mis en regard par un procédé linguistique de distanciation. C’est ainsi que s’établit, dans la distanciation mise en scène par une certaine disposition de surface de forme X marqueur (Y), une fonction de connexion où les différents contenus (p, q, r…) sont connectés en vue d’une certaine organisation du discours. Cette connexion et tous les traits qui interviennent seraient représentés en structure profonde dans la même métalangue, indépendamment de leur explicitation ou non dans la structure de surface. Ces indications correspondraient, dans la classification fonctionnelle de Borreguero Zuloaga et López Serena (Reference Borreguero Zuloaga, López Serena, Aschenberg and Loureda Lamas2011), à la fonction inférentielle, qui intègre la macrofonction cognitive, en ce que la fonction du marqueur permet à l’interlocuteur de déclencher des processus de nature inférentielle pour cerner la relation qui doit s’établir entre les différents contenus.
Ce qui précède révèle que la distanciation mise en place par les trois marqueurs considérés participe non seulement au marquage énonciatif (le commentaire du locuteur et l’attitude qu’il prend par rapport à un dire antérieur), mais aussi à toute l’articulation du discours au niveau profond.
3.5 Propriété 5: désengagement et anti-orientation argumentative
Lorsque le locuteur veut signifier une distanciation par rapport à un dire antérieur, il met en place un acte délibéré et stratégique. La stratégie montrée vis-à-vis d’un contenu déjà asserté implique que X soit présenté comme dépourvu en discours de la pertinence qui a présidé à son élaboration et se heurte au commentaire introduit par le locuteur, lequel est lui-même présenté comme pourvu d’une valeur supérieure, sous forme de mise en suspens de X, qui vient servir l’argumentation. Une certaine influence est ainsi exercée sur les relations argumentatives dans la mesure où le rôle de la distanciation est d’associer à une représentation donnée une évaluation à valeur dirimante, car basée sur un désengagement du locuteur. Lorsque le locuteur énonce p c’est vite dit/c’est beaucoup dire ou c’est toi qui le dis, il s’attribue un certain degré de désengagement à l’égard de p.
Employées comme marqueurs discursifs, les trois expressions exercent sur X une valeur modalisante impliquant une mise en scène énonciative particulière: le dédoublement énonciatif. C’est un commentaire du locuteur sur son propre dire ou le dire d’un autre. Dans un cadre polyphonique minimal, on dira que le locuteur met en jeu au moins deux points de vue, dont il est, ou non, la source, dans le cadre d’un dédoublement énonciatif divergent. Un premier point de vue correspond à un contenu p, déjà asserté, dont la source est un locuteur antérieur, auquel peut s’identifier éventuellement lors de l’interprétation le locuteur (c’est uniquement possible dans le cas de c’est vite dit et c’est beaucoup dire). Le locuteur est le personnage du discours qui s’identifie à la source, au niveau profond, d’un deuxième point de vue, qu’il prend en charge et qui met en scène un commentaire réflexif montrant qu’il tend à se distancier de la représentation construite par le premier point de vue. C’est dans ce sens que la distanciation marquée instaure une séparation entre des points de vue présentés dans et par le discours.
Au regard du degré de figement des trois expressions considérées, il est important de souligner, en outre, qu’on se trouve en présence d’expressions de type « phrase situationnelle », ce qui revient à dire qu’elles sont par définition inscrites dans la situation et relativement dépendantes sur le plan référentiel (voir propriétés 1 et 2).Footnote 21 Les trois expressions se combinent avec comme on dit (20) ; elles sont événementielles, ce que montrent les combinaisons (21) et (22):

À la différence des phrases génériques, les phrases situationnelles renvoient au dire hic et nunc d’un locuteur, qui est présenté comme directement responsable du contenu, et non pas à un dire communautaire générique. Le commentaire réflexif introduit par ces trois expressions constitue ainsi un investissement du locuteur dans sa production langagière interprétable dans le cadre d’une situation particulière.Footnote 22
Dans les contextes préférentiels de chaque marqueur, on observe cet effet général de distanciation, accompagné d’une force conclusive dont l’orientation argumentative s’oppose à celle du mouvement discursif antérieur. Cette valeur par défaut, qu’on pourrait imaginer surgir dans plusieurs contextes dialogaux du même type que (23), n’est toutefois pas toujours suffisante pour expliquer l’apparition des trois marqueurs considérés.

Dans les exemples attestés, l’enchaînement avec le marqueur se développe souvent en débordant la simple représentation de la mise à l’écart d’un discours autre énoncée par le locuteur. D’un point de vue argumentatif, la valeur de distanciation doit être entendue comme étant sujette à un certain degré de modulation, qui va au-delà de la simple orientation argumentative de désaccord. En fonction des contextes et des rapports interlocutoires établis, plusieurs effets de sens peuvent émerger:Footnote 23
a) Dans certaines configurations, la modalisation porte sur la forme du dire. Le locuteur énonce un retour avec disqualification du dire antérieur. Dans l’exemple (24), ce dont il est question n’est pas réductible à ce qu’on en a dit, d’après le locuteur:

Dans cet exemple, le locuteur s’arrête sur le syntagme une cabane, repris sous forme échoïque, pour aussitôt le remettre en question et dénoncer son inadéquation au réel ou, du moins, à sa représentation du réel. L’emploi de ce segment du discours est présenté comme pragmatiquement irrecevable dans les circonstances données et le locuteur rejette la qualification. Je me situe dans une perspective proche de celle de Rouanne (Reference Rouanne, Gómez-Jordana and Anscombre2015), pour qui c’est beaucoup dire déploie une valeur de commentaire signalant que l’expression en X est en dessus de ce que l’on devrait dire.Footnote 24
Dans la mesure où c’est beaucoup dire commente la portée argumentative de X, qu’il considère comme excessive, ce rôle a pour corollaire, sur le plan illocutoire, une lecture critique. Il peut anticiper d’éventuelles minorations, permettant de fournir une formulation plus nuancée. Une rectification est ainsi opérée dans les faits.

Souvent, des expressions telles que disons que, que l’on observe en (25), ou disons sont présentes dans le contexte. Selon Franckel (Reference Franckel, Rouanne and Anscombre2016), disons que introduit un point de vue qui amende un point de vue précédent, en ce sens qu’il apporte une restriction à la portée d’un dire antérieur. Cette valeur ressortit à la question de l’adéquation entre la forme et la réalité représentée.
On notera que c’est beaucoup dire et c’est vite dit se rejoignent mieux lorsque le commentaire métalinguistique met en avant la non-coïncidence, selon le locuteur, entre la représentation construite linguistiquement par X et les faits ainsi représentés. C’est vite dit pourrait se substituer à c’est beaucoup dire dans des exemples comme (18), répété ici en (26):

Il importe de signaler toutefois que la dénonciation de la non-adéquation de X à une situation donnée opérée par c’est vite dit peut déborder la dénonciation par excès. Dans une dimension argumentative, le locuteur de c’est vite dit fait un retour sur un dire antérieur, en présumant un manque de réflexion chez le locuteur antérieur.
b) Dans certaines configurations, la distanciation opérée permet d’interpréter une invitation à l’ajustement par rapport à un cheminement argumentatif qui sous-tend p (associé à X). La modalisation de X passe par la présentation de p comme le résultat d’un parcours inférentiel s’appuyant éventuellement sur d’autres discours antérieurs explicites et implicites, dont des connaissances supposées partagées. Observons de ce point de vue le cas de (27):

Plus précisément, X met en exergue le passage de l’argument (« on récupère plutôt les contraintes des 2 […] ») à la conclusion (« Au final il vaut mieux aujourd’hui avoir un appareil de chaque […] »), fondé sur ce qui est présenté comme un savoir commun, tel que signalé dans la section 3.4, du type ‘on choisit les produits qui sont avantageux’. Dans cet exemple, le désengagement par rapport à l’assertion « Au final il vaut mieux aujourd’hui avoir un appareil de chaque, stratégie choisie par Apple, en développant la ‘continuité’ des usagers d’un appareil à l’autre » consiste non pas à nier cette conclusion, mais à présenter le passage de l’argument à la conclusion comme non fondé, comme quelque peu hâtif. Le mécanisme argumentatif de réajustement mis en jeu par c’est vite dit se résume à mettre en suspens la pertinence du premier cheminement argumentatif au nom d’un autre schéma argumentatif qui s’applique aussi bien à la situation, à partir d’un autre savoir commun, du type ‘l’encombrement d’objets pose des inconvénients’. C’est ainsi que le locuteur reproche au personnage du discours qui s’identifie à la source et adopte le point de vue conclusif (il vaut mieux avoir un appareil de chaque) d’avoir conclu à partir d’un schéma, sans réfléchir à l’existence possible d’un autre schéma argumentatif.Footnote 25
Il faut signaler que l’exemple (27) n’offre pas une bonne assise à c’est beaucoup dire, qui semble restreint au commentaire sur la portée argumentative de X plutôt que sur le cheminement argumentatif qui sous-tend X, comme illustré en (29) et (30):

c) Dans d’autres cas de figure encore, le désengagement s’opère par rapport à la prise en charge de p (associé à X). Le commentaire introduit par le simple fait de dire c’est toi qui le dis en (31) signale un effet de modalisation sur X en ce que le locuteur se présente comme refusant d’entrer dans le jeu illocutoire associé à l’assertion de p:

Le locuteur de c’est toi qui le dis se présente comme n’étant que l’allocutaire d’un p d’un locuteur antérieur, qui tente de le lui imposer, ce qui permet d’interpréter un désinvestissement du locuteur sur ce point de vue adopté par le locuteur antérieur (la femme ne risquait rien puisqu’elle n’avait pas volé les deux mille francs). En effet, la source de ce point de vue diffère, en structure profonde, du locuteur. Ce refus de souscrire à un tel point de vue conditionne l’emploi sémantico-pragmatique de c’est toi qui le dis en tant que marqueur et semble justifier les contextes syntaxiques dans lesquels il apparaît de manière privilégiée: en contexte dialogal, comme une réaction à l’énonciation de X de la part de l’interlocuteur.
Selon Gómez-Jordana Ferary (Reference Gómez-Jordana Ferary, Rouanne and Anscombre2016), cette réfutation accorde au procédé de distanciation une force conclusive anti-orientée argumentativement avec ce qui précède. Elle compare, à ce propos, la force argumentative de c’est toi qui le dis avec celle du marqueur que tu dis, le premier n’étant pas compatible avec au contraire, qui introduit une réfutation forte:Footnote 26

En revanche, c’est toi qui le dis admet l’enchaînement sur un contre-argument prenant le contre-pied de X. D’ailleurs, la modalisation de X, manifestant la distance que le locuteur prend par rapport à l’origine d’un point de vue, peut mener à plusieurs interprétations: « (personnellement, je te laisse la responsabilité de tes propos) et je refuse de me prononcer » ; « (personnellement, je te laisse la responsabilité de tes propos) et je n’approuve pas ton opinion » ; voire, « (personnellement, je te laisse la responsabilité de tes propos) et j’approuve ton opinion ».Footnote 27 Très souvent, les enchaînements discursifs concrétisent cette mise à distance. En voici un exemple attesté:

Le locuteur de (33) explicite par la suite sa non-validation du point de vue attribué dans le discours à son interlocuteur: le nouveau design de la 308 n’apporte pas de grands changements esthétiques par rapport au dernier modèle, donc si on aime l’ancienne version, on aimera toujours la nouvelle version et inversement.
Dans tous les cas examinés, le locuteur se représente sur la scène énonciative en exerçant un certain contrôle, car il revient sur le dire antérieur pour manifester le désengagement qui est le sien à travers le marqueur en question. De cela, il résulte une distanciation, qui opère à différents niveaux: l’un ayant trait à la portée argumentative, l’autre au cheminement argumentatif impliqué et le dernier, enfin, à la source énonciative et au jeu illocutoire associé.
4. Conclusion
Les observations présentées ici, qui examinent les deux dimensions, onomasiologique et sémasiologique, me semblent de nature à apporter une contribution à l’étude linguistique du phénomène de la distanciation. Ce qui est mis en jeu dans le commentaire métalinguistique de distanciation par rapport à un dire antérieur, c’est, selon moi, le fait que le locuteur met en avant une dissymétrie entre lui-même et son allocutaire, tout en prenant le dessus dans le discours sous forme d’un désengagement vis-à-vis d’un point de vue attribué à un locuteur antérieur.
L’objet de cet article était, dans une perspective onomasiologique, de délimiter la notion de distanciation vis-à-vis d’un dire antérieur par la mise en évidence de certaines propriétés constitutives repérables. La mise à contribution de critères linguistiques discriminants, dont on peut contrôler les résultats, comme moyen d’accéder aux réalités du sens, m’a permis d’étayer mes hypothèses. J’en suis restée, certes, à seulement un certain niveau d’analyse. D’autres facteurs, tels que la relation entre la position des marqueurs et leur capacité à jouer un rôle dans l’articulation du discours ou la prosodie, mériteraient aussi d’être examinés dans un prolongement de cette étude.
D’un point de vue sémasiologique, la comparaison entre les trois marqueurs a fait apparaître des fonctionnements distincts de la distanciation. Dans le commentaire évaluatif sur la non-adéquation du dire antérieur vis-à-vis d’une situation, avec c’est beaucoup dire prédomine le commentaire sur la portée excessive du dire antérieur, alors que c’est vite dit commente le cheminement argumentatif qui a conduit à une conclusion. Enfin, c’est toi qui le dis fait entrer le locuteur dans un acte polémique, en ce qu’il refuse le jeu illocutoire associé à l’assertion de p.
Cette étude fonctionnelle se veut à plus longue portée, car, si elle s’appuie à ce stade sur trois marqueurs formés sur le verbe dire, elle envisage une suite, accompagnée d’une comparaison des phénomènes de désémantisation qui touchent les marqueurs de discours avec dire face aux marqueurs sans le verbe dire.