L'Æsthetica de Baumgarten est restée depuis plus de deux cents ans dans l'ombre de la «révolution» au moins nominale qu'elle a représentée pour l'histoire de la philosophic moderne. Et de fait, Baumgarten doit moins son importance historique à l'évaluation rigoureuse qu'on a pu faire des concepts qu'il a contribué à développer, qu'à l'ouverture d'un champ théorique et philosophique particulier. Car quelles que soient les limites et les lacunes historiques de son projet théorique, il n'en reste pas moins qu'une grande partie de la tradition philosophique de l'esthétique, en particulier dans le contexte de la philosophie allemande, y a trouvé la possibilité d'une unification et comme la marque d'une «origine». C'est Baumgarten qui, le premier en Allemagne, a réuni les conditions nécessaires pour assurer à la théorie de l'art et du beau une cohérence systématique qui lui avait été auparavant refusée et, par voie de conséquence, pour lui permettre de former un champ théorique et philosophique distinct. On a souvent fait remarquer que Baumgarten avait «inventé» très peu de thèmes nouveaux en esthétique; et il est indéniable qu'il s'est contenté la plupart du temps de réorganiser, dans ses observations, un matériau à la fois ancien et restreint, qu'il tire presque exclusivement de la rhétorique et de la poétique traditionnelles. Mais la pertinence historique de sa pensée tient plutôt au fait qu'il crée une nouvelle perspective unifiée, un nouveau centre de gravité qui permet d'organiser de façon neuve un ensemble de phénomènes qui avaient été traités avant lui de façon indépendante.