Le livre que Mr Georges Friedmann intitule La crise du progrès et qui, pour être de format modeste, n'est pas un petit livre — compose une large fresque d'histoire intellectuelle. Brossée par un philosophe, elle réalise ce que, depuis longtemps, j'appelle de mes vœux d'historien : une histoire des idées qui soit vraiment « de l'histoire ». Et les lecteurs des Annales ne s'étonneront pas de cette constatation, puisqu'ils ont eu déjà un excellent avantgoût des réalisations de Mr Friedmann. Il y a cinq ans, rendant compte dans la Revue de synthèse d'une suite de travaux, d'ailleurs distingués, de Cassirer, de Klibansky et autres — je croyais devoir opposer l'histoire de la philosophie, telle que l'écrivent les philosophes, à notre histoire d'historiens traitant, à l'occasion, des idées — et je marquais notre désarroi devant ces engendrements de concepts à l'état pur que, si souvent, les historiens de la philosophie se contentent de nous décrire avec complaisance, sans aucune référence à l'état économique, politique ou social des diverses époques : concepts issus, pourrait-on croire, d'intelligences désincarnées et vivant, d'une vie toute irréelle, dans la sphère des idées pures.