Introduction
Dans les dernières années, plusieurs spécialistes ont démontré que les femmesFootnote 1 qui prennent la parole dans l’espace public connaissent un risque accru de subir de l’hostilité en ligne, phénomène désignant des comportements agressifs, insultants ou menaçants dirigés contre des individus sur Internet (Broadband Commission for Digital Development Working Group on Broadband & Gender, 2015 ; Barker et Jurasz, Reference Barker and Jurasz2019 ; Dupré et Carayol, Reference Dupré and Carayol2020). Qui plus est, celles qui partagent leurs idées politiques incarnent à leur tour des cibles prisées (Barker et Jurasz, Reference Barker and Jurasz2019).
Durant les élections provinciales qui ont eu lieu au Québec à l’automne 2022, plusieurs personnalités politiques, notamment des femmes, ont été victimes de menaces de mort et de viol (Chapdelaine de Montvalon, Reference Chapdelaine de Montvalon2022). La députée libérale et porte-parole pour le dossier de l’éducation à l’Assemblée nationale du Québec, Marwah Rizqy, alors enceinte de huit mois, a notamment reçu en ligne plusieurs menaces de mort, qu’elle a dénoncées vertement (Gaudreault, Reference Gaudreault2022). Christine Labrie, la députée de Québec solidaire dans la circonscription de Sherbrooke, a également dévoilé les attaques qu’elle recevait en ligne. Elle était d’ailleurs parvenue à attirer l’attention médiatique internationale sur cet enjeu en racontant sa propre expérience (Jouen, Reference Jouen2020). Dans une déclaration menée à l’Assemblée nationale, Labrie a lu certaines des injures reçues sur ses réseaux sociaux pour sensibiliser aux violences en ligne (Radio-Canada, 2019).
Au Canada, plusieurs autres cas ont été recensés. En 2022, des exemples significatifs de cyberviolencesFootnote 2 visant des politiciennes ont été mis en lumière. C’était le cas pour la vice-première ministre fédérale, Mme Chrystia Freeland, mais aussi pour plusieurs activistes et des journalistes politiques (Paas-Lang, Reference Paas-Lang2022). Elizabeth May, codirigeante du Parti vert, n’a pas été épargnée par ce fléau. La leader écologiste a dû consulter des experts en sécurité en réaction aux menaces croissantes dont elle était la cible (Burke, Reference Burke2019). Pour sa part, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mme Mélanie Joly, une figure de proue du Parti libéral du Canada, a renforcé les mesures de sécurité autour de son bureau au Québec après avoir subi de nombreuses attaques en ligne (Burke, Reference Burke2019). À ce sujet, des études substantielles menées par Tenove et Tworek (Reference Tenove and Tworek2020) et Wagner (Reference Wagner2022) démontrent comment les politiciennes qui sont issues de minorités raciales et sexuelles sont plus à risque de subir des cyberviolences.
La réalité empirique exige qu’on tienne compte du phénomène de l’intersection des cyberviolencesFootnote 3 faites aux politiciennes dans l’espace public numérique. Une étude de Dhrodia (Reference Dhrodia2018) fournit une perspective internationale, révélant l’ampleur et la nature intersectionnelle de cet enjeu. Au cours des six mois précédant les élections britanniques de 2017, 25 688 tweets hostiles ont été envoyés aux 177 femmes députées britanniques. Diane Abbott, la première femme noire députée au Royaume-Uni, a été la cible de plus de 45% de ces attaques (Dhrodia, Reference Dhrodia2018). La recherche a mis en lumière la dimension raciale des cyberviolences, les députées noires et asiatiques recevant 35 % de tweets « abusifs » de plus que leurs homologues blanches. Malheureusement, cette étude probante n’offre pas de cadre théorique substantiel s’ancrant dans le champ de la science politique, qui serait utile pour de futurs travaux sur la question.
Pour sa part, Al-Rawi (Reference Al-Rawi2023) a examiné les réponses sur Twitter (désormais X) à deux politiciennes musulmanes canadiennes, Iqra Khalid et Maryam Monsef, pour comprendre les fardeaux associés à la « représentation de la diversité » dans les démocraties multiculturelles. La recherche démontre que la majorité des publications les plus retweetées étaient hostiles. Khalid, malgré une moindre notoriété, a été davantage ciblée en raison de son introduction d’un projet de loi contre l’islamophobie (Al-Rawi, Reference Al-Rawi2023). Une autre étude pertinente de Perreault (Reference Perreault2020) menée pour Statistique Canada révèle que 36% des femmes métisses canadiennes ont suivi des cyberviolences. 30 % des femmes autochtones et 35 % des femmes en situation de handicap ont également été ciblées par des comportements sexuels non désirés en ligne (Perreault, Reference Perreault2020). Les données montrent une disparité entre les violences subies en ligne par des individus dépendamment de plusieurs facteurs sociaux et culturels.
Afin d’analyser la question des cyberviolences ciblant les politiciennes, le développement d’un cadre théorique féministe original est nécessaire pour appréhender adéquatement cette problématique. En effet, la littérature en science politique portant sur les cyberviolences faites aux politiciennes (Mantilla, Reference Mantilla2015 ; Poland, Reference Poland2016 ; Esposito, Reference Esposito2023 ; Roy, Reference Roy2023) ne prend pas en compte systématiquement la pluralité des formes de cette hostilité en ligne. Bien que plusieurs travaux examinent la pluralité des cyberviolences (Tenove et Torek, Reference Tenove and Tworek2020 ; Perreault, Reference Perreault2020 ; Wagner, Reference Wagner2022 ; Al-Rawi et al., Reference Al-Rawi2023), aucun cadre théorique substantiel n’a été élaboré pour en proposer une analyse féministe solidement ancrée dans le champ de la science politique.
Considérant ce fossé, le façonnement d’un cadre théorique féministe novateur s’impose. Afin de contribuer à combler cette lacune, nous proposons une approche originale pour analyser les cyberviolences ciblant spécifiquement les politiciennes dans leur complexité et leur pluralité. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les travaux de la philosophe féministe Nancy Fraser, s’ancrant dans la tradition de la théorie féministe critique, ainsi que sur les études relatives au féminisme intersectionnel, notamment fondées sur la pensée de Kimberlé Crenshaw. Cette approche mixte que nous développons permet de comprendre la diversité des cyberviolences faites aux politiciennes.
En effet, la perspective féministe intersectionnelle constitue un cadre pertinent pour analyser chaque dimension des cyberviolences dans sa spécificité (race, genre, orientation sexuelle, classe sociale, etc.), tout en tenant compte de leur dynamique de complémentarité (Crenshaw, Reference Crenshaw1989). Cette lecture, façonnée par Crenshaw, permet d’éviter l’écueil d’une analyse unifiée des cyberviolences, qui ne rendrait pas compte de leur complexité. Elle offre ainsi une compréhension plus nuancée du continuum des cyberviolences ciblant les politiciennes.
En complément, la pensée féministe de Nancy Fraser propose une théorie politique apte à appréhender l’espace public à travers le prisme des luttes de reconnaissance. Cette perspective permet de mieux comprendre les dynamiques de pouvoir à l’ethel dans l’espace public numérique, en mobilisant notamment des concepts phares en science politique comme la parité de participation ou les contre-publics subalternes. Par ailleurs, l’approche de Fraser fournit des outils analytiques précieux pour appréhender les cyberviolences dans une perspective propre à la science politique, en les replaçant au ethel des rapports de domination qui structurent l’espace public contemporain.
En mobilisant la pensée de Nancy Fraser et le féminisme intersectionnel relatif à Crenshaw notamment, nous conjuguons deux perspectives théoriques rarement associées. Cette complémentarité permet une analyse plus riche et nuancée de la pluralité des cyberviolences ciblant les politiciennes. La théorie critique de Fraser, centrée sur la justice sociale et les structures de pouvoir, s’imbrique de manière éclairante au féminisme intersectionnel de Crenshaw, qui met l’accent sur les oppressions multiples et croisées.
En réunissant ces différents éclairages féministes, rarement conjugués dans le domaine de la science politique, cette note de recherche propose une contribution théorique significative. Enfin, nous examinerons l’impact des cyberviolences sur l’effritement de la démocratie, en mettant en évidence comment ces violences verbales sexistes en ligne marginalisent les femmes dans la sphère politique et affaiblissent leurs droits fondamentaux. Cette réflexion se révèle particulièrement pertinente dans un contexte où la prévalence des cyberviolences est largement documentée (Commission Broadband, 2015 ; The Economist Intelligence Unit, 2020).
Mise en contexte
Définir les cyberviolences
Comme nous portons notre regard sur les cyberviolences faites aux politiciennes, il est nécessaire de définir les termes mobilisés. Qu’est-ce que les cyberviolences faites aux femmes? Celles-ci englobent une série de comportements agressifs et nuisibles en ligne qui ciblent spécifiquement les femmes. Elles se réfèrent à l’utilisation des technologies numériques pour perpétrer des actes de violence, incluant le harcèlement et les menaces (UN Women – Americas and the Caribbean, 2023). Les cyberviolences représentent une forme grave d’hostilité en ligne, caractérisée par des comportements intentionnels et répétés visant à nuire psychologiquement, émotionnellement, ou physiquement aux victimes. En tant que sous-catégorie de l’hostilité en ligne, les cyberviolences illustrent les manifestations les plus sévères de l’agressivité numérique. Tandis que l’hostilité en ligne inclut des comportements variés allant de l’insulte à l’agression verbale, la cyberviolence englobe des actions plus intentionnelles et destructrices, visant spécifiquement à causer un préjudice significatif (UN Women – Americas and the Caribbean, 2023).
Selon Mantilla (Reference Mantilla2015), les cyberviolences incluent le harcèlement en ligne. Celui-ci est défini comme étant un comportement répétitif d’agression, d’intimidation ou de menace à l’encontre d’une personne via des plateformes numériques telles que les réseaux sociaux, les courriels ou les forums (Patchin et Hinduja, Reference Patchin and Hinduja2010). Les cyberviolences incluent aussi d’autres actes comme le doxxing (révélation de données personnelles), le swatting (envoi des forces de l’ordre à l’adresse de la victime sous de faux prétextes), le revenge porn (diffusion de contenus intimes sans consentement), ainsi que les menaces de viol et de mort. Les menaces de mort constituent des déclarations intentionnelles où une personne exprime son intention de tuer ou de causer des dommages corporels graves à une autre personne, souvent pour intimider, manipuler ou contrôler la victime (Meloy et Sheridan, Reference Meloy and Sheridan2008). Les menaces de viol suivent la logique de l’intention de contrôler l’autre ; elles visent ainsi à faire peur à une personne en lui faisant croire qu’elle pourrait être victime d’un viol. Cette menace est utilisée pour intimider, manipuler ou exercer un pouvoir sur la victime et n’exclut pas le passage à l’acte (Logan, Walker et Jordan, Reference Logan, Walker and Jordan2006).
Les cyberviolences perpétuent la misogynie en ligne, définie comme étant la haine des femmes, créant un environnement toxique pour les femmes sur Internet (Mantilla, Reference Mantilla2015). Contrairement aux attaques visant les hommes, les cyberviolences dirigées spécifiquement contre les femmes se concentrent souvent sur le dénigrement de leur apparence physique et de leur sexualité (Clermont-Dion, Reference Clermont-Dion2022). Ces cyberviolences peuvent être considérées comme des violences fondées sur le genre, exploitant les dynamiques de pouvoir et de contrôle liées au genre pour harceler, intimider et nuire aux femmes, en tant que groupe social marginalisé. Cette conception est largement reconnue dans les sphères institutionnelles et universitaires (Gladu, Reference Gladu2017 ; Jane, Reference Jane2017 ; ONU Femmes, Reference Femmes2022 ; Clermont-Dion, Reference Clermont-Dion2022).
Ces formes de violences numériques touchent de manière disproportionnée les femmes, reflétant ainsi les inégalités de genre présentes dans la société (Mantilla, Reference Mantilla2015). De plus, les cyberviolences renforcent les stéréotypes sexistes et les normes de genre, puisque leurs auteurs cherchent à faire taire et à marginaliser les femmes dans les espaces publics numériques (Citron, Reference Citron2014). En somme, les cyberviolences sont une extension des violences fondées sur le genre dans le domaine numérique, amplifiant les dynamiques de pouvoir et de contrôle liées au genre.
D’autre part, les cyberviolences ne sont pas déconnectées de celles qui se produisent dans le monde physique. Elles font partie d’un continuum de multiples formes de violence récurrentes et interconnectées à l’encontre des femmes et des filles, s’étendant désormais dans les mondes en ligne et hors ligne, et les traversant (Organisation des États américains, 2022 ; Clermont-Dion, Reference Clermont-Dion2022). Ce continuum réfère à un enchevêtrement de systèmes d’oppression intégrant une kyrielle d’actes allant de ceux qui peuvent paraître banals ou anodins à des actes physiquement très violents (Kelly, Reference Kelly, Hanmer and Maynard1987). La mort et la menace se situent chacune à un extrême de cet éventail.
Prévalence des cyberviolences faites aux politiciennes canadiennes
La prévalence des cyberviolences à l’égard des femmes politiciennes est démontrée empiriquement. L’étude de Tenove et Tworek (Reference Tenove and Tworek2020) met en lumière l’intensité des cyberviolences durant les campagnes électorales fédérales canadiennes. Pendant l’élection de 2019, les chercheurs ont constaté que près de 40 % des tweets adressés aux candidats étaient hostiles, 16% d’entre eux étant classés comme « abusifs » (Tenove et Tworek, Reference Tenove and Tworek2020). De manière générale, ils ont également souligné que les politiciens membres de certains groupes de population, notamment les femmes, les groupes racialisés, les peuples autochtones, les minorités ethniques ou religieuses, et les membres des communautés LGBTQ2+, étaient ciblés de manière disproportionnée et pouvaient vivre différemment les effets de cette violence (Tenove et Tworek, Reference Tenove and Tworek2020).
Une autre analyse a été menée sur Twitter (X) entre le 15 août et le 20 septembre 2021. Ils ont examiné plus de 2,55 millions de tweets, et plus de 20 % des messages reçus par les candidates féminines étaient jugés «likely toxic», contre 18 % pour les candidats masculins (The Samara Centre for Democracy, 2022). Cette recherche révèle que, parmi les candidats aux élections fédérales canadiennes de 2021, les femmes députées sortantes d’un parti étaient cinq fois plus susceptibles de recevoir des tweets toxiques que leurs homologues masculins (The Samara Centre for Democracy, 2022). Pour sa part, la chercheuse Angelia Wagner (Reference Wagner2022) approfondit plus spécifiquement la nature du harcèlement en ligne vécu par des politiciennes au Canada. À travers des entretiens avec 101 personnalités politiques canadiennes, elle révèle que bien que tous les politiciens soient confrontés à l’hostilité en ligne, les femmes, les individus non blancs et les minorités sexuelles subissent plus de cyberviolences. Les femmes en particulier sont plus susceptibles de subir du harcèlement en ligne. Les candidates féminines issues de la diversité rapportent avoir reçu non seulement des injures sexistes, mais aussi des commentaires racistes ou homophobes pendant leurs campagnes (Wagner, Reference Wagner2022).
Les cyberviolences en ligne touchent de nombreux politiciennes et politiciens, particulièrement les femmes et les minorités. Ces cyberviolences ont un effet direct sur la citoyenneté des politiciennes en affectant leur capacité à participer pleinement à la vie politique et publique. Selon une étude récente de l’Union interparlementaire (Union interparlementaire, 2023), les femmes représentant 25 % des personnes élues dans le monde sont souvent la cible de campagnes de haine en ligne et de désinformation qui cherchent à discréditer leur autorité et à miner leur influence politique (UIP, 2023). Cette désinformation peut nuire à leur réputation et dissuader d’autres femmes de se lancer en politique, contribuant ainsi à un déséquilibre persistant entre les sexes dans les sphères de pouvoir.
Comprendre l’espace public
Avant de présenter le cadre théorique féministe privilégié pour comprendre les cyberviolences faites aux politiciennes, il est aussi judicieux de définir clairement ce que l’on entend par « espace public ». L’espace public désigne les lieux et environnements accessibles à toutes les personnes d’une société donnée, où se déroulent les interactions sociales, politiques et économiques. Il s’agit des espaces où les citoyens peuvent se rassembler, échanger des idées et participer à la vie communautaire. Ces espaces sont essentiels à la démocratie et à la vie civique, offrant un cadre pour la discussion, le débat et l’engagement collectif (Habermas, Reference Habermas1989).
L’espace public physique s’incarne traditionnellement dans des lieux tangibles tels que les parcs, les rues, les places publiques, les restaurants, et les bâtiments gouvernementaux où les citoyens se rencontrent et échangent librement (Papacharissi, Reference Papacharissi2002). Il comprend également les institutions culturelles comme les bibliothèques, musées, théâtres et centres communautaires, ainsi que les lieux de délibération tels que les assemblées publiques, forums citoyens et salles de conférence. Cet espace permet l’expression collective et individuelle, favorisant la participation démocratique et le dialogue ouvert entre tous les membres de la société. Ces lieux sont géographiquement définis et permettent des interactions en face-à-face. En revanche, l’espace public numérique englobe les plateformes en ligne et les environnements virtuels comme les réseaux sociaux, les forums de discussion, les blogs et les sites de partage de vidéos. Ces espaces transcendent les barrières géographiques, permettant des interactions à distance et souvent anonymes (Papacharissi, Reference Papacharissi2002). Aujourd’hui, la distinction entre espace public physique et numérique est fortuite, puisque l’espace public comprend la manifestation en ligne (Roberts, Reference Roberts2019). Une nuance est amenée par rapport à cette dernière idée défendue par Roberts. Dans l’espace physique, les frontières entre le privé et le public sont relativement claires : la maison est généralement considérée comme un espace privé, tandis que la rue est vue comme un espace public. Cependant, dans l’espace numérique, ces frontières deviennent floues. Les interactions sur les réseaux sociaux, par exemple, peuvent se produire dans un espace apparemment privé (comme une conversation entre amis) tout en étant accessible à un public plus large (si elles sont partagées ou rendues publiques) (Boyd, Reference Boyd and Papacharissi2010).
Une approche féministe des cyberviolences faites aux politiciennes
Approche féministe issue de la théorie de la justice sociale
Maintenant que l’espace public où s’expriment les politiciennes a été sommairement défini, nous pouvons développer une approche féministe ancrée dans la science politique pour concevoir les cyberviolences ciblant les politiciennes. Il est crucial d’adopter une lecture théorique permettant de réaliser deux objectifs : 1) analyser l’espace public sous une perspective féministe et 2) concevoir une approche intersectionnelle des cyberviolences.
Bien que la théorisation d’Habermas soit pertinente pour faire une lecture de l’espace public, il semble impératif de concevoir une théorisation féministe plus adaptée permettant de conjuguer les cyberviolences faites aux femmes qui peuvent s’imposer. En ce sens, l’apport théorique de la philosophe Nancy Fraser est fondamental (Fraser, Reference Fraser2001).
La parité de participation selon Nancy Fraser
Nancy Fraser mobilise le concept de parité de participation comme pierre angulaire de sa théorie de la justice sociale, visant l’équité dans la distribution des ressources et la reconnaissance des divers groupes sociaux. Ce principe fondamental implique que toutes les personnes doivent pouvoir participer pleinement et de manière égale aux délibérations publiques concernant les questions de justice et d’injustice. Ainsi, pour y parvenir, la parité de participation doit être réalisée. Cette notion signifie que chacun doit être en mesure de prendre part aux discussions publiques en tant que partenaire à part entière, sur un pied d’égalité de statut avec les autres (Fraser, Reference Fraser2011 : 53).
L’injustice, dans cette perspective, représente tout obstacle empêchant cette participation égale. Fraser affirme que le manque de reconnaissance crée ainsi des embûches publiques et mesurables empêchant certaines personnes « de jouir pleinement de leur statut de membres égaux de la société » (Fraser, Reference Fraser2011 : 51). Suivant la perspective de Fraser, ces freins sont moralement indéfendables, qu’ils affectent ou non la subjectivité des individus.
Pour surmonter ces entraves à la parité de participation, Fraser propose d’éliminer les barrières systémiques. La parité de participation nécessite plusieurs conditions essentielles pour être atteinte. Premièrement, elle cible les conditions objectives. Cela comprend une distribution équitable des ressources matérielles ; une étape cruciale pour garantir l’indépendance des participants et leur capacité à s’exprimer librement. Une distribution inéquitable des ressources matérielles risque d’empêcher certains individus de participer activement aux discussions publiques (Fraser, Reference Fraser2011 : 53–54). Deuxièmement, Fraser identifie les conditions intersubjectives. Les modèles culturels doivent incarner un respect égal pour tous les participants, ce qui implique la promotion de normes et de valeurs sociales assurant l’égalité des chances dans la recherche de l’estime sociale. Sans ce respect mutuel, la participation équitable est compromise (Fraser, Reference Fraser2011 : 53–54). Troisièmement, Fraser cible les conditions politiques. Toutes les personnes affectées par les injustices doivent être incluses dans les délibérations spécifiques, qui doivent se dérouler selon des procédures équitables, garantissant que toutes les voix sont entendues de manière égale. Les structures démocratiques doivent être inclusives et transparentes pour que toutes les parties prenantes puissent participer pleinement (Fraser, Reference Fraser2012). Sans ces trois conditions, la parité de participation dans l’espace public est entravée.
Parité de participation et cyberviolences faites aux politiciennes
La notion de parité de participation est particulièrement pertinente pour comprendre et aborder les cyberviolences faites aux politiciennes. Ces violences en ligne représentent des barrières majeures à la participation politique des femmes (ONU, 2020). En affectant leur capacité à s’exprimer et à participer aux discussions publiques, ces cyberviolences constituent une forme d’injustice tel que conceptualisée par Fraser (Reference Fraser2011). Or, les trois conditions établies par Fraser – objective, intersubjective et politique – pour analyser si la parité de participation est réussie, s’impose pour analyser les cyberviolences à l’égard des politiciennes.
Selon Fraser, pour garantir la parité de participation, il est impératif de créer un environnement numérique sécuritaire où les politiciennes peuvent s’exprimer librement sans crainte de subir des attaques (Reference Fraser2011). Cela nécessite non seulement des mesures de protection contre les cyberviolences, mais aussi des efforts pour changer les normes culturelles et sociales qui tolèrent ou encouragent ces comportements abusifs (IPU et ONU, 2021). En assurant que les conditions objectives, intersubjectives et politiques soient réunies, il est donc possible de promouvoir une participation égale et équitable des femmes en politique, tant dans les espaces publics tant dans les espaces publics physique que numérique (Fraser, Reference Fraser2011).
Les contre-publics subalternes selon Nancy Fraser
Outre la parité de participation, pour constituer notre approche féministe originale, nous mobiliserons la notion de contre-publics subalternes telle que conceptualisée par Fraser (Reference Fraser2011). La philosophe propose cette notion pour analyser les inégalités qui teintent les interactions au sein de l’espace public. Fraser définit les « contre-publics » subalternes comme des arènes discursives parallèles où les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, permettant de fournir leur propre interprétation de leurs identités, intérêts et besoins (Fraser, Reference Fraser2001 : 103). Parmi ces arènes, l’espace public numérique est un lieu de prise de parole en marge des tribunes médiatiques traditionnelles. Les femmes font partie de ce que Fraser qualifie de contre-publics subalternes, ayant une fonction critique contestataire. Les groupes historiquement subordonnés ou socialement dominés, façonnent leurs revendications via des contre-discours partagés dans la sphère publique (Fraser, Reference Fraser2001 : 140). Leur prise de parole est essentielle à un projet de justice sociale, bien qu’il faille reconnaître les nombreuses barrières structurelles qui en limitent l’expression. En l’occurrence, les femmes ou les féministes, en tant que contre-publics subalternes, ne sont pas traitées également aux hommes dans l’espace public traditionnel ou virtuel. Certains contre-publics subalternes sont plus susceptibles de devenir la cible des cyberviolences (Mantilla, Reference Mantilla2015).
La notion de contre publics subalternes est cruciale pour analyser les cyberviolences faites aux politiciennes, car elle permet de comprendre comment les inégalités sociales et structurelles influencent les interactions et discours dans l’espace public, y compris numérique, affectant particulièrement les femmes comme groupe social. Cette approche, fondée sur les travaux de Nancy Fraser, éclaire plusieurs aspects essentiels (Fraser, Reference Fraser2001 : 103). En mobilisant cette notion, on comprend mieux comment les femmes politiciennes, en tant que membres de ces contre-publics, subissent des cyberviolences spécifiques. Ces violences ne sont pas uniquement personnelles, mais enracinées dans des structures de domination et de subordination. Les discours développés par les contre-publics subalternes, tels que les femmes politiciennes, jouent un rôle crucial dans la contestation des structures de pouvoir et dans le façonnement des sociétés démocratiques. Ces discours offrent des perspectives alternatives et critiques sur les réalités sociales et politiques, exposant les inégalités et injustices. En analysant les cyberviolences contre les politiciennes à travers cette lentille, on reconnaît l’importance de ces contre-discours dans la lutte pour l’égalité et la justice sociale.
En définitive, les femmes politiciennes, en tant que membres des contre-publics subalternes, rencontrent des barrières structurelles limitant leur prise de parole et leur visibilité dans l’espace public, traditionnel ou numérique (IPU, 2023). Les cyberviolences peuvent être considérées comme des mécanismes faisant ethel de barrière, visant à maintenir leur subordination et à empêcher leur pleine participation et représentation. La notion de contre-publics subalternes insiste sur la nécessité de la prise de parole des groupes subordonnés pour formuler un projet de justice sociale. La présence des femmes politiciennes et leur participation active dans l’espace public numérique sont essentielles pour promouvoir des politiques inclusives et égalitaires. Ainsi, la notion de contre-publics subalternes aide à comprendre que les cyberviolences contre les politiciennes ne sont pas des incidents isolés, mais des manifestations d’un système plus large de discrimination et de contrôle social.
Approche féministe intersectionnelle
Si Nancy Fraser parvient, par l’entremise des notions de parité de participation et de contre-publics subalternes, à nous outiller pour bâtir un cadre théorique pour analyser les cyberviolences faites aux politiciennes, elle demeure imparfaite, car elle ne cible pas spécifiquement l’intersection des violences que peuvent subir les politiciennes selon leur position située (Crenshaw, Reference Crenshaw1989). Fraser prête flanc à une homogénéisation des femmes comme groupe social, ce qui a pour conséquence d’invisibiliser les femmes issues de la diversité raciale et sexuelle, par exemple. Il est donc à propos de mobiliser l’approche féministe intersectionnelle, telle que conçue par Crenshaw, pour analyser cet enjeu sans pour autant rejeter l’apport théorique substantiel de Fraser.
Rappelons sommairement ce qu’est l’approche féministe intersectionnelle. Elle s’est imposée avec la troisième vague du féminisme, notamment avec l’apport de Kimberlé Williams Crenshaw (Reference Crenshaw1989). L’intersectionnalité offre un cadre d’analyse qui conçoit avec plus de nuances les questions d’ordre sociologique et appréhende les catégories sociales imbriquées au sein de diverses dynamiques de pouvoir (Bilge, Reference Bilge2009 : 73). Si toutes les femmes vivent des oppressions, elles ne les subissent pas toutes de la même manière, ni seulement à titre de femmes. L’intersectionnalité permet ainsi de concevoir dans leur pluralité les systèmes d’oppression qui contribuent à la réitération des inégalités et des expériences de violences vécues (Collins, Reference Collins2000).
Les femmes politiciennes, situées à diverses intersections de pouvoir et d’oppression, font face à des défis singuliers et spécifiques dans le monde numérique (Dhrodia, Reference Dhrodia2018). Leur expérience de la cyberviolence n’est pas monolithique, mais profondément influencée par la convergence des identités multiples et des systèmes de pouvoir imbriqués. Collins (Reference Collins2000) nous invite à considérer les « matrices d’oppression » – des intersections complexes de genre, identité sexuelle, origine, âge et position sociale qui ne sont pas simplement cumulatifs, mais plutôt multiplicatifs dans leurs effets. Ce modèle intersectionnel permet d’examiner comment les différentes formes de domination et d’oppression s’entrecroisent et se renforcent mutuellement, créant des expériences uniques et diversifiées de marginalisation et de pouvoir.
Une analyse intersectionnelle appliquée aux cyberviolences faites aux politiciennes
Pour analyser les cyberviolences faites aux politiciennes de manière concrète, l’approche féministe intersectionnelle offre des outils et des perspectives indispensables. Premièrement, elle aide à distinguer les diverses sources de cyberviolence auxquelles les politiciennes peuvent être confrontées (Dhrodia, Reference Dhrodia2018 ; Collins, Reference Collins2000). Ainsi, cette perspective offre des clés d’analyse pour différencier la nature des cyberviolences subies par les politiciennes en fonction de leur position sociale et de leur visibilité. Les femmes issues de minorités visibles ou de groupes marginalisés peuvent recevoir des attaques plus virulentes et plus fréquentes comparées à leurs homologues plus privilégiées. Par exemple, les femmes métisses et autochtones au Canada, comme l’a révélé Perreault (Reference Perreault2020), subissent des taux élevés de harcèlement sexuel en ligne, ce qui reflète des dynamiques d’oppression croisées liées à leur origine ethnique et à leur genre. De plus, une politicienne noire peut être attaquée non seulement en raison de son genre, mais aussi en raison de sa race. Ces attaques peuvent inclure des insultes sexistes ainsi que des injures racistes, ce qui n’est pas le cas pour ses homologues blanches (Dhrodia, Reference Dhrodia2018). Ainsi, l’approche intersectionnelle prend en considération la kyrielle des oppressions et offre un cadre d’analyse multifactoriel qui permet de catégoriser chaque type d’attaque dans une lecture croisée (Dhrodia, Reference Dhrodia2018). Par exemple, pour évaluer adéquatement comment la parité de participation des politiciennes est affectée dans un territoire donné, il faudra alors considérer les facteurs socioculturels (sexe, race, identité sexuelle, classe sociale, etc.) pour bien analyser de quel type de contre-public subalterne on parle. Les marqueurs socioculturels influenceront l’analyse des cyberviolences en considérant 1) la tonalité, 2) l’intensité et 3) la nature des cyberviolences (Clermont-Dion, Reference Clermont-Dion2022).
Deuxièmement, l’approche intersectionnelle permet de comprendre comment les structures sociales et les discours publics peuvent amplifier les cyberviolences (Clermont-Dion, Reference Clermont-Dion2022). Par exemple, les politiciennes musulmanes comme Iqra Khalid au Canada, qui ont été visées de manière disproportionnée lorsqu’elles se sont exprimées contre l’islamophobie, montrent que l’intersection de la religion et du genre crée des cibles privilégiées pour les agresseurs en ligne. L’islamophobie, articulée autour d’une peur de l’islam et se manifestant par une hostilité non seulement envers la religion, mais aussi envers les musulmans (Commission consultative des droits de l’homme, 2024), en est un exemple.
L’approche féministe intersectionnelle permet de concevoir l’impact des systèmes d’oppression qui influencent la nature des cyberviolences, tels que le racisme, le colonialisme, le sexisme, l’homophobie et l’islamophobie (Crenshaw, Reference Crenshaw1989). Cette composante offre des clés théoriques importantes pour comprendre l’historique et les composantes de ces systèmes d’oppression dans leur portée.
L’approche féministe intersectionnelle intègre également une critique du colonialisme, ce qui est crucial pour analyser les cyberviolences dans un contexte postcolonial. Les politiciennes issues de communautés indigènes ou de minorités ethniques subissent souvent des formes de violence en ligne héritées des structures coloniales de pouvoir et d’oppression. Les écrits de Leanne Betasamosake Simpson et Audra Simpson, par exemple, soulignent comment les héritages coloniaux continuent de façonner les expériences de violence et de discrimination des femmes indigènes en Amérique du Nord (Simpson, Reference Simpson2017). Cette perspective est essentielle pour comprendre les dynamiques de pouvoir contemporaines en matière de cyberviolences.
Troisièmement, l’approche intersectionnelle permet de déceler les mécanismes spécifiques par lesquels les cyberviolences sont perpétrées et amplifiées par les réseaux sociaux. En reconnaissant que les plateformes d’échange en ligne peuvent reproduire et même intensifier les discriminations existantes (Noble, Reference Noble2018), les chercheurs peuvent analyser les dynamiques complexes à l’ethel. Par exemple, Safiya Noble a démontré dans Algorithms of Oppression que l’amplification algorithmique des cyberviolences ciblant des politiciennes de minorités spécifiques met en lumière les biais inhérents aux systèmes algorithmiques (2018).
L’approche intersectionnelle est cruciale pour comprendre comment les algorithmes réitèrent les violences, car elle révèle comment les multiples facettes de l’identité (genre, race, religion, etc.) interagissent pour créer des expériences uniques de violence. Par exemple, en analysant les algorithmes de modération de contenu, l’intersectionnalité permet de comprendre pourquoi certaines formes de violence en ligne sont négligées ou mal interprétées. Cette perspective révèle que les expériences de cyberviolence ne sont pas monolithiques, mais varient en fonction des intersections identitaires.
En intégrant une perspective intersectionnelle, les chercheurs peuvent examiner comment les structures de pouvoir et d’oppression se manifestent dans les environnements numériques. Les algorithmes, souvent conçus sans considération pour ces dynamiques intersectionnelles, peuvent exacerber les préjudices subis par les groupes marginalisés (Noble, Reference Noble2018). En analysant les biais algorithmiques à travers cette lentille, il est possible de comprendre comment et pourquoi certaines populations, comme les politiciennes issues de minorités ethniques ou religieuses, sont plus vulnérables aux attaques en ligne.
En somme, l’approche intersectionnelle offre également un cadre analytique et pratique pour examiner les cyberviolences sous toutes leurs formes et ramifications. Elle permet de reconnaître et de comprendre la complexité des expériences des politiciennes face à la violence en ligne, en tenant compte de la manière dont leurs différentes identités influencent ces expériences. Cette compréhension approfondie est essentielle pour développer des réponses politiques, légales et sociales qui soient à la fois justes et efficaces.
Discussion et conclusion
Cette note de recherche a pour ambition de contribuer à insuffler un nouvel élan à la théorie critique féministe relative à l’espace public et à l’étude des dynamiques de domination qui s’en dégagent. Afin d’établir une grille d’analyse critique pour examiner l’espace public et détailler les violences infligées aux femmes politiciennes, un cadre théorique novateur est proposé. Cette nécessité d’une révision découle des conclusions empiriques tirées d’études précédentes (IUP, 2016 ; Dhrodia, Reference Dhrodia2018 ; Tenove et Tworek, Reference Tenove and Tworek2020 ; Wagner, Reference Wagner2022). Bien que ces travaux soient éclairants, ils sont souvent restreints par leurs propres limites théoriques.
Ainsi, pour développer ce cadre d’analyse original, nous avons revisité les idées de Fraser pour concevoir un espace public porteur d’une parité de participation politique et d’une considération des contre-publics subalternes (Young, Reference Young2006 ; Fraser, Reference Fraser2001). Toutefois, cette conceptualisation semble incomplète pour appréhender et analyser les violences subies par les femmes s’exprimant dans cet espace. Afin de mener une étude à la fois normative et empirique, nous proposons de mobiliser également le féminisme intersectionnel. Cette alliance, rarement mise en ethel, s’avère néanmoins cruciale pour une analyse multidimensionnelle de l’espace public, mettant en lumière les cyberviolences faites aux femmes politiciennes (EUI, 2020).
Ces deux approches théoriques offrent les clés d’analyse nécessaires pour concevoir la réalisation ou non d’un espace public égalitaire où les femmes politiciennes peuvent s’exprimer sans que leur liberté d’expression soit brimée. La question de la parité de participation politique des femmes politiciennes demeure un défi persistant à l’échelle mondiale (IUP, 2021). Malgré les progrès réalisés dans certains pays, les obstacles persistent, souvent exacerbés par les violences intersectionnelles rencontrées en ligne et hors ligne.
Depuis l’avènement de la pandémie de Covid-19, on observe une augmentation significative des cyberviolences basées sur le genre (Pashang et Khanlou, Reference Pashang and Khanlou2022 ; ONU, 2020). Les recherches montrent que l’isolement social, l’augmentation du temps passé en ligne et la vulnérabilité accrue des femmes et des filles ont contribué à cette tendance préoccupante. Cette hausse des cyberviolences a également eu un impact négatif sur la participation des femmes en politique, les dissuadant de s’engager dans des débats en ligne et de prendre des positions publiques par crainte de harcèlement et de violence (ONU Femmes, Reference Femmes2020).
Les cyberviolences ciblant les politiciennes jouent un rôle déterminant dans la marginalisation des femmes politiciennes (Dunn, Reference Dunn2020). Ces formes de discrimination interagissent de manière complexe, créant des barrières multiples à leur participation politique. Les recherches, comme celles soutenues par l’International Development Research Centre (IDRC), soulignent que les femmes politiciennes, en particulier celles issues de minorités ethniques ou raciales, sont souvent la cible de discours haineux et de campagnes de désinformation en ligne, limitant ainsi leur capacité à exercer leur mandat de manière efficace et équitable (International Development Research Centre, 2024). Pour surmonter ces défis, des avancées législatives spécifiques sont nécessaires pour garantir une représentation politique équitable et sûre pour toutes les femmes. L’IDRC et d’autres organismes ont identifié plusieurs recommandations clés. Les violences en ligne à l’égard des femmes politiciennes représentent un défi majeur qui nécessite des réponses législatives appropriées. Les plateformes numériques doivent être soumises à une régulation stricte afin de prévenir et de sanctionner ces comportements. Les recherches de l’IDRC (International Development Research Centre, 2024) montrent à ce sujet que l’instauration de mesures législatives imposant des sanctions sévères pour le harcèlement en ligne peut réduire ces incidents préjudiciables de manière significative.
En outre, pour assurer une protection juridique robuste contre les discriminations intersectionnelles, les législations doivent inclure des clauses spécifiques qui reconnaissent et condamnent ces formes de discrimination. IT for Change en Inde explore les défis juridiques et sociaux liés aux violences en ligne contre les femmes, offrant des modèles pour le développement de législations inclusives et protectrices (IT for Change, 2023). Ces initiatives, comme d’autres, visent à garantir que toutes les femmes politiciennes bénéficient d’une protection juridique adéquate, indépendamment de leur intersectionnalité, renforçant ainsi leur capacité à participer pleinement et en toute sécurité à la vie politique (UN Women – Americas and the Caribbean, 2023).
En conclusion, l’adoption de législations adaptées est cruciale pour surmonter les obstacles à la parité politique des femmes politiciennes, tout en tenant compte des violences intersectionnelles qu’elles subissent (Noble, Reference Noble2018 ; UN Women – Americas and the Caribbean, 2023). Ces mesures ne doivent pas seulement viser à accroître la représentation féminine, mais aussi à créer des environnements politiques sûrs et inclusifs où toutes les voix peuvent être entendues et respectées. Il convient de souligner que les cyberviolences dirigées contre les femmes politiciennes ont un impact significatif sur leur parité de participation, conformément à la conception de Fraser (Reference Fraser2010) concernant les inégalités au sein de l’espace public. Cette question revêt une importance cruciale, car elle touche à la liberté d’expression des femmes politiciennes et, par extension, à leur citoyenneté.